Qui l’a su ? Du 27 au 30 janvier 2022 s’est tenu à Ouagadougou un gigantesque rassemblement du mouvement Tabligh. Il s’agit de la plus importante organisation de missionnaires musulmans dans le monde qui mène un djihad visant à améliorer le comportement des musulmans. C’est la version versus du jihad des groupes extrémistes violents se réclamant l’Islam qui sèment la terreur au nom de leur seule vision de la chari’a (loi islamique). Le groupe Tabligh, également sur la base de sa compréhension de la chari’a, mène un autre djihad, soft, et en dehors des projecteurs des masses médias. Il mise sur la spiritualité et la dévotion. L’une de ses caractéristiques fondamentales est la « sortie sur le chemin d’Allah pour propager l’Islam ». Au Burkina Faso, comme ailleurs, ses adeptes convergent de toutes les sphères sociales.
Ils étaient plus de 6 000 à venir des quatre coins du Burkina Faso pour participer à cette rencontre annuelle qui, d’ailleurs prend une envergure sous-régionale voire internationale avec la participation de coreligionnaires des pays voisins et d’autres pays hors Afrique. C’est dans le quartier Boulmiougou, à la sortie ouest de Ouagadougou que la rencontre a eu lieu. Des participants sont venus de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Ghana, du Bengladesh, France, Pakistan etc. Durant ces trois jours, des érudits prêcheurs se succèdent au parloir pour inciter l’assistance à travailler pour acquérir une foi solide, gage pour être un bon croyant dans la société et espérer entrer au paradis. Ces prêcheurs pétris d’une longue et solide expérience dans les activités du mouvement, parlent du paradis comme lieu de félicité, de l’enfer expression du châtiment à l’encontre de ceux qui rependront le mal dans ce monde. Tout en insistant sur l’obligation d’acquérir la foi pour être un bon musulman, il montre la voie à prendre pour l’acquérir : donner du temps pour la cause d’Allah et le « khourouge fi sabilillah ». Il s’agit en d’autres termes d’une retraite spirituelle sériée en trois jours, 40 jours voire quatre mois ou six mois. Accrochés aux paroles des prêcheurs, les militants écoutent pendant des heures sans donner des signes de lassitude. Les téléphones sont rangés pour ne pas se laisser distraire. Chauffés à blanc, ils sont nombreux dans l’assistance à se décider à l’issue des trois jours pour faire ce voyage spirituel. Au cours de la sortie, les fidèles vont de mosquée en mosquée où ils passent généralement trois jours dans une même mosquée dans laquelle ils se consacrent à l’apprentissage des règles de bienséances, aux actions de dévotions et la prêche de l’Islam. Les groupes de sortant sont formés en fonction des durées de sortie.
Contrairement à plusieurs confessions et autres groupes religieuses, le mouvement Tabligh n’utilise pas les canaux de communication moderne comme la télévision, la radio, la presse écrite, voire internet ou les réseaux sociaux pour la publicité de leurs activités. Le groupe a développé une stratégie et une organisation lui permettant de se passer de ces canaux et de pouvoir mobiliser une immense foule pour leurs rendez-vous. D’ailleurs, les responsables de cette organisation refusent la médiatisation de leur activité et s’abstiennent de toute intervention dans les médias. Dans le cadre de cet article, un ancien du mouvement et toujours un partisan, Seone Aboubacar, formateur en science islamique, a accepté répondre à nos questions. Il martèle que le Tabligh est « une madersa (école) ambulante permettant au sortant d’acquérir connaissance et la mettre en pratique ».
Les rencontres sont appelées « Ijtihma » dans le jargon du mouvement. Le plus grand rassemblement des Tabligh a lieu chaque année dans le mois de décembre au Bengladesh. C’est d’ailleurs le plus grand rassemblement de musulmans dans le monde après le pèlerinage de la Mecque. Des remarques s’imposent pendant ces rencontres. D’abord, les participants ne sont que des hommes de tout âge et de toute condition. Ils sont quasiment tous habillés de la même manière. Ils portent majoritairement des khamiss (habit traditionnel pakistanais), des boubous et des turbans à la tête. Nombre d’entre eux portent aussi d’imposantes barbes et leur pantalon se limitent au-dessus de la cheville. Il n’y a pas de service traiteur durant ces rassemblements. Les participants se regroupent par quartier ou pays et désignent cinq à sept personnes qui vont faire la cuisine pour les autres.
Les musulmans, la cible principale du mouvement
Le mouvement Tabligh estime que la plupart des musulmans sont loin des valeurs que prône l’Islam. C’est ainsi que dans leur expédition, il a pour cible principal, les musulmans. Les militants excipent une parole prophétique qui dit que le meilleur djihad est celui qui consiste à dompter son âme et la soumettre aux prescriptions religieuses. Et pour convaincre les fidèles à faire la retraite spirituelle, les tablighs ont des versets de prédilection. Ils excipent ces versets incitant au jihad selon leur interprétation que d’autres groupes (terroristes) se revendiquant de l’Islam utilisent pour leur sombre besogne. L’un des versets prisés est :« O Vous qui avez cru ! vous indiquerai-je un commerce qui vous sauvera d’un châtiment douloureux ? Vous croyez en Allah et en Son messager et vous combattez avec vos biens et vos personnes dans le chemin d’Allah, et cela vous est bien meilleur, si vous saviez ! Il vous pardonnera vos péchés et vous fera entrer dans des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, et dans des demeures agréables dans les jardins d’Eden. Voilà l’énorme succès et paradis » S 61 V11,12,13. Ainsi, pour les Tablighs, « le combat dans le chemin d’Allah » consiste à faire la sortie où science et pratique se lient. Ils ont la conviction que « le bonheur et le succès de l’homme dans ce bas-monde et au Jour de la Résurrection se trouvent uniquement dans la religion complète qui, pour l’avoir, il faut avoir la foi et pour l’avoir le musulman doit faire beaucoup d’efforts. », explique militant. Les Tabligh sont surnommés « Témoin de Jéhovah des musulmans » dans certains milieu.
Des résultats
Le mouvement a réussi à faire changer des personnes qui étaient de véritable danger pour la société. L’un des symboles forts des prouesses du Tabligh est la conversion d’un ancien bandit de grand chemin ivoirien, du nom de Mahan Olivier, ancien chef de gang à Abidjan comme à l’intérieur du pays. Nous avons eu l’occasion de l’écouter pendant l’un de leur rassemblement à Ouagadougou. Chaque fois qu’il est là, il est comme une star. Les militants s’attroupent autour de lui pour l’écouter leur parler du changement opéré dans sa vie à cause du Tabligh. Des journalistes de radio confessionnelles islamiques accourent pour l’inviter à leur émission. Mahan Olivier appelé désormais Mohamed après sa conversion à l’Islam est devenu un prêcheur international. Il concentre ses efforts sur ses anciens compagnons des ghettos. D’ailleurs beaucoup de délinquants ayant abandonné leurs méfaits le suivent dans ses tournées.
Rappelons que le mouvement s’est installé au Burkina depuis les années 80. Ses adeptes viennent de tous les miieux de la société burkinabè. Ainsi, on y trouve des universitaires, des travailleurs du public comme du privé, des paysans, des élèves, des commerçants, etc.
Qui finance le mouvement Tabligh
L’organisation se fonde sur la partie du verset qui stipule de « combattre dans le sentier de d’Allah avec sa personne et se biens » pour demander à ceux qui désirent faire une retraite spirituelle de financer de par eux-mêmes le temps qu’ils optent. Il s’agit donc d’un autofinancement. Ainsi, celui qui décide faire trois jours doit débourser 1 500 F CFA. Environ 25 000 F CFA pour quarante jours et autour de 80 000 F CFA pour effectuer quatre mois. Ces sommes sont généralement utilisées pour la cuisine (le petit déjeuner, le déjeuner et le diner). L’argent est remis soit en entier au chef du groupe ou une cotisation journalière est organisée pour les repas. Lorsque la sortie doit se faire en dehors de Ouagadougou ou du Burkina, le sortant doit ajouter le coût du transport. Les tablighs ne reçoivent pas de financement venant d’autre pays. D’ailleurs, l’un de leur principe lorsqu’ils sont en retraite, c’est de n’accepter de l’argent d’une tierce personne qui n’est pas en sortie. Ils acceptent à la limite de la nourriture.
En outre, le phénomène du terrorisme fait que la surveillance du mouvement de la part des autorités étatiques s’est renforcée. Sur dénonciation de certains citoyens, des adeptes de ce mouvement en retraite dans des mosquées sont souvent arrêtés par les forces de l’ordre. Après vérification, ils sont libérés.
Intolérance religieuse ?
Le Tabligh fait l’objet de vives critiques et de réprobation d’autres organisations islamiques. Il n’est pas accepté dans certains milieux. Par exemple, les mouvements d’obédience wahabistes, salafistes taxent les pratiques des tablighs d’innovations n’ayant rien à voir avec la religion islamique. Ils leur interdisent d’ailleurs l’accès à leur mosquée. D’autres groupes également le critiquent pour son désintérêt pour la politique. En effet, le Tabligh interdit aux sortants de parler politique, des « maladies » (divisions) de la Communauté. Bien évidemment les groupes extrémistes violents leur reprochent leur interprétation des versets coraniques et leur compréhension du djihad.
Hamidou TRAORE