
L'agriculture burkinabè souffre du manque de mécanisation.
La crise sécuritaire qui frappe le Burkina Faso depuis 2015 le contraint à des manquements en termes de respect de certains engagements qu’il avait pris. Ainsi, à l’instar d’autres Etats de l’Afrique, le Burkina avait pris la ferme résolution de redynamiser son secteur agricole et alimentaire en vue d’assurer la prospérité et le bien-être sociale et économique de ses populations. C’est dans ce sens qu’il s’est engagé à travers la déclaration de Maputo de 2003 à «allouer chaque année au moins 10% » de son budget national à leur effectivité, « dans un délai de cinq ans ». L’Etat burkinabè a même renforcé cette volonté par son adhésion à la déclaration de Malabo de 2014 axée sur « la croissance et la transformation accélérée de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie ». Aujourd’hui, les difficultés de sa mise en œuvre se sont accrues avec la crise sécuritaire rendant inopérant les résultats recherchés.
C’est un secret de polichinelle. L’économie du Burkina Faso repose sur essentiellement sur l’agriculture même l’or a pris le dessus depuis un certain temps. L’agriculture occupe 80% de sa population. Elle génère environ 45% des revenus des ménages agricoles et contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle du pays. Au regard donc du poids de ce secteur dans l’économie nationale, il a toujours été au centre des politiques nationales. Et cela se matérialise par la panoplie de textes juridiques et de politiques pour booster ledit secteur. Et ces principaux textes et politiques de développement du secteur agricole sont inspiré d’instruments juridiques internationaux.
Les engagements du l’Etat burkinabè sur l’agriculture
Les principaux engagements du Burkina Faso dans le secteur agricole (rural) se situent entre autres dans la Déclaration de Malabo (2014) sur la croissance et la transformation accélérée de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie. Elle est traduite dans le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA+10). Cette déclaration réaffirme celle de Maputo (2003) sur l’allocation d’au moins 10% des budgets nationaux au secteur agricole et la réalisation d’un taux de croissance d’au moins 6%.
En plus, dans le cadre des Objectifs de Développement Durables (ODD), le Burkina Faso s’est engagé à effectuer des investissements qui devront entrainer une croissance agricole inclusive et permettre aux petits producteurs d’avoir accès au financement et à la technologie en vue de relever le niveau de développement et d’adoption des technologies. Cet engagement vise également d’accroître la croissance agricole dans la perspective d’une réduction de manière durable de la pauvreté et de la malnutrition. Ces engagements qui sont conformes à la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide reposent sur les principes d’appropriation, d’harmonisation, d’alignement, de gestion basée sur les résultats et la responsabilité mutuelle. En pratique, ces engagements doivent se traduire par des moyens conséquents que l’Etat burkinabè se doit de mobiliser et investir pour leur respect en faveur dudit secteur au Burkina Faso.

Quelques caractéristiques de l’agriculture burkinabè
La production agricole burkinabè est dominée par les céréales et le coton. La consommation alimentaire se concentre sur les céréales sèches et le riz (DGPER, 2010). En dehors du coton qui bénéficie d’une attention particulière de l’Etat depuis plusieurs années, les filières agricoles sont peu « structurées » et rencontrent des « problèmes de commercialisation liés à la faiblesse de l’intégration de l’économie agricole au marché ainsi que la faiblesse du réseau de communication (pistes rurales) », souligne le rapport Oxfam. Toutes choses qui « handicapent » l’épanouissement des secteurs de la distribution et de la commercialisation.
Outre, cette production agricole présente une « volatilité relativement forte » car l’agriculture est essentiellement pluviale et donc sensible aux aléas climatiques. Et nonobstant les efforts Etatiques, le secteur agricole demeure l’un des moins productifs parmi les secteurs de la croissance. Il a une « faible productivité » due à des conditions pédoclimatiques défavorables (changement climatique), à l’insécurité foncière, à une agriculture extensive de subsistance. Les exploitations familiales qui occupent la majorité des agriculteurs sont confrontées à des difficultés d’accès au financement.
Il est également, à remarquer que le secteur agricole depuis un certain temps est caractérisé par un « dualisme » combinant l’agrobusiness et l’agriculture familiale. L’agrobusiness est animé par « de gros producteurs », la plupart du temps par de « hauts fonctionnaires de l’Administration publique ou privée ». Cette nouvelle caste de producteurs aisés, moins nombreux, mais très riches, achètent et occupent de vastes superficies de terre dans les zones climatiques favorable à l’activité agricole. Et pendant ce temps, l’agriculture familiale est pratiquée par de plus petits producteurs qui n’ont pour « seule source de revenus et de moyens d’existence que la terre qu’ils exploitent ». Ces paysans pauvres sont les plus nombreux et subissent de plein fouet les effets des changements climatiques et sont localisés dans les « zones climatiques les moins favorables à l’activité agricole »…
« Finalement, un choix stratégique devra être opéré par les autorités sur où investir et au profit de qui, dans le domaine agricole ? Faut-il investir dans les zones climatiques à fort potentiel agricole ou dans la zone climatique à faible potentiel agricole dont la population est exposée de façon régulière à des crises de famines ? Et au profit des grands producteurs ou des petits producteurs pour une réduction significative des inégalités ? », s’interroge le rapport de l’ONG britannique.
Comme pour aggraver la situation, la crise sécuritaire qui frappe durement le pays depuis 2015 a chassé des milliers de pays de leurs terres portant ainsi un coup dur au secteur.

Les réalités budgétaires dans l’agriculture
Il faut noter que sur la période 2016-2019, les allocations budgétaires au profit du secteur agricole représentent par an, en moyenne 11,83% du budget totale. En 2018, la part du budget de l’Etat consacrée à l’agriculture est même montée à 14,82%. Cependant en 2019, cette part a chuté jusqu’à 7,80%. Le taux de 2018 a presque été divisé par 2. Dans l’ensemble, au regard de cette dynamique, l’on peut dire que l’engagement de Maputo en faveur du secteur agricole a été respecté par le gouvernement du Burkina Faso en 2016, 2017 et 2018 et n’a pas été respecté en 2019. Les allocations budgétaires dans le secteur de l’agriculture s’aggravent avec la crise sécuritaire. L’analyse citoyenne du budget 2022 faite par le Centre d’Etudes et de Recherche Appliquée en Finances Publiques (CERA-FP) indique que le secteur de l’agriculture, a bénéficié de seulement 4,21% du budget de l’Etat en 2022. Une autre étude de même centre sur le budget 2023 révèle que la part du budget alloué au secteur est de 7,24%, « ne respectent pas les engagements internationaux dans ces domaines », remarque Hermann Doanio Economiste, expert en finances publiques et Secrétaire exécutif du CERA-FP qui a présenté l’étude le 15 décembre 2023. Il a rappelé que la déclaration de Maputo de 2003 engage les Chefs d’Etat africains à l’allocation de 10% de leur budget à l’agriculture en vue d’assurer la sécurité alimentaire.
Des résultats insuffisants
Issouf Porgo, de la Confédération paysanne du Faso (CPF) pense que l’application du contenu de la déclaration de Maputo est fiasco, en ce sens qu’il n’a pu jusque-là produire les résultats attendus. Il n’a pas tout à fait tort car, bien le Burkina Faso fait un effort pour l’allocation de plus de 10% de son budget à l’agriculture, le rapport d’Oxfam étaie son assertion. Ainsi, de manière globale, l’analyse budgétaire montre que les dotations au profit du secteur agricole ont augmenté de 8,1% moyenne sur la période 2016-2018. Les dotations de 2019 sont en baisse de plus de 52,19% par rapport au niveau de l’année 2018. La part du budget de l’Etat consacrée à l’agriculture représente plus de 10% sur la période 2016-2018. Le niveau d’exécution moyen du budget du secteur rural qui est de 66,93% reste faible comparativement à celui du budget global (93,35%).
Malheureusement, l’on constate que malgré les efforts financiers du gouvernement, le secteur agricole n’arrive pas à prendre son envol. L’hypothèse qu’on peut émettre est qu’il y a, comme il ressort aussi de l’étude, un problème de « ciblage des bénéficiaires des interventions publiques et partant, de la pertinence du choix politique du modèle agricole actuel tendant à faire la promotion de l’agrobusiness ».
Dans le milieu rural où vivent les petits agriculteurs (hommes, femmes), les exploitations familiales n´arrivent pas á produire suffisamment pour couvrir leurs besoins alimentaires et se procurer de revenus monétaires. Dans ce milieu, le niveau de pauvreté reste encore élevé. Il est de 47% contre 40,1% au plan national.
Pour Oxfam, la réussite d’une politique agricole dans le contexte burkinabè dominé par une agriculture familiale, nécessite que des actions spécifiques soient orientées vers cette dernière tout en l’organisant pour la rendre plus professionnelle.
Le CERA-FP à travers sa dernière étude recommande d’accroître la part du budget allouée au secteur de l’agriculture pour faire face aux besoins alimentaires des populations du pays et assurer à moyen terme l’autosuffisance alimentaire ; de traiter sérieusement la professionnalisation des agriculteurs en prenant en compte le renforcement des capacités des producteurs à travers la réhabilitation des centres de formation et des points d’eau déjà existants avant de procéder à la mise en place de nouvelles infrastructures.
Hamidou TRAORE