
Des militants écologistes protestant lors de l'assemblée générale annuelle de TotalEnergies à Paris. /Photo prise le 26 mai 2023/REUTERS/Stephanie Lecocq
A l’aube de ce vendredi 26 mai 2023, un affrontement entre la police et des militants écologistes a eu lieu aux abords de la salle Pleyel à Paris où doit se tenir dans la matinée l’assemblée générale des actionnaires de la multinationale Total. Les manifestants dénoncent le projet de la compagnie pétrolière d’un pipeline en Afrique de l’est qui présage une véritable catastrophe pour les équilibres écologiques.
L’assemblée générale de TotalEnergies se tient ce vendredi 26 mai 2023 à Paris. Les actionnaires de la compagnie ont été invités par le conseil d’administration à voter contre une résolution visant à renforcer ses engagements climatiques. Celle-ci propose d’aligner davantage les objectifs de TotalEnergies sur l’accord de Paris pour 2030, visant à contenir le réchauffement climatique sous les 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
« Total, c’est vous les éco-terroristes »
Piqués au vif de l’apprendre, des activistes ont donc investi tôt ce matin les abords de la salle Pleyel devant abriter l’assemblée générale pour empêcher cette réunion. Sous surveillance des forces de l’ordre, les activistes ont collé plusieurs pancartes sur les vitres et déployé une banderole, déterminés à « dénoncer les investissements mortifères » de TotalEnergies « dans les énergies fossiles, dont les projets Tilanga et EACOP en Afrique de l’Est ». On peut lire sur l’une des banderoles : « Total, c’est vous les éco-terroristes ». Pour Jean-François Guillon, d’Attac, « il faut monter d’un cran » pour que « les pouvoirs publics agissent ».
Parmi les manifestants, on note des personnalités religieuses, des croyants qui se sont enchainé sur une passerelle. Ils ont bloqué pendant 1443 secondes la voie Leopold Sédar Senghor représentant les 1443 km du futur pipeline de pétrole brute de l’Afrique de l’est. Certains sont parvenus à s’asseoir par terre devant l’entrée de la salle pour tenter d’empêcher la réunion. Après trois sommations en moins d’une minute par haut-parleur, les forces de l’ordre – qui bouclaient le tronçon de la rue du Faubourg-Saint-Honoré – ont projeté du gaz lacrymogène au milieu du groupe de militants pour le climat.
Les actionnaires, eux, sont arrivés à l’AG au compte-gouttes, par une petite rue adjacente à celle où sont rassemblés les manifestants. En parallèle de ce rassemblement, les militants d’Extinction Rebellion ont manifesté devant le siège de TotalEnergies, à La Défense.
Un projet « climaticide »
Rappelons que le New York Times avait longuement enquêté sur un projet de forage pétrolier en Ouganda et en Tanzanie qui dévaste la forêt et l’habitat naturel de millions d’animaux sauvages. Le méga projet du pétrolier français TotalEnergies pourrait menacer plus de 12 000 familles d’après des ONG. Les gisements, situés au cœur d’une réserve naturelle, auront également des répercussions sur des écosystèmes extrêmement sensibles.
Les sites de forage et le pipeline traverseront également des réserves de gibier et des steppes grouillant d’animaux comme les lions, les buffles et la girafe Rothschild en voie de disparition que les touristes affluent pour voir. Les activistes avertissent que le projet endommagera l’habitat et l’industrie vitale du tourisme.
Déjà, des véhicules roulant à toute vitesse sur la route pavée de Murchison ont tué des animaux. La construction a poussé des éléphants et d’autres animaux dans les villages, où ils détruisent les cultures et endommagent les biens, disent les militants. Au pic de production, les militants du climat estiment que le projet est-africain entraînera 34 millions de tonnes métriques d’émissions de carbone par an, soit plus que les émissions totales actuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie.
Six groupes environnementaux et de défense des droits humains ougandais et français ont poursuivi TotalEnergies pour violation d’une loi française qui oblige les entreprises françaises à respecter les droits humains. « Sous l’ombrage dense de la forêt abritant des éléphants, des oiseaux rares et des singes, des bulldozers rugissants et des excavatrices brisent l’idylle, renversant des arbres centenaires et sculptant des routes pour atteindre la nouvelle source de richesses de l’Ouganda : le pétrole » affirme le New York Times.
Notons qu’une ruée vers l’or noir est en cours en Ouganda, un pays verdoyant et enclavé d’Afrique de l’Est qui a signé une coentreprise de plusieurs milliards de dollars avec des compagnies pétrolières françaises et chinoises, arguant que les revenus financeront des secteurs sociaux notamment des écoles, des routes et d’autres développements.
Les forêts et ressources en eau de la Tanzanie en danger !
Il faut signaler que le projet est déjà en branle. En effet, le forage a déjà commencé sur les rives du lac Albert et, dans l’habitat vierge du parc national Murchison Falls, les travailleurs nettoient des zones pour poser des plateformes pour les puits de pétrole. Des terres sont acquises et défrichées pour construire un oléoduc destiné à transporter le pétrole de l’ouest luxuriant de l’Ouganda enclavé, à travers les forêts et les réserves de chasse en Tanzanie, jusqu’à un port sur la côte de l’océan Indien.
Les habitants des deux pays ont été déplacés de leurs terres, ce qui a suscité des critiques et des poursuites judiciaires internationales. Les écologistes s’inquiètent du fait que les déversements de pétrole pourraient menacer le lac Victoria, une source vitale d’eau douce pour 40 millions de personnes, et ravager le parc qui protège Murchison Falls, l’une des cascades les plus puissantes du monde, où le Nil rugit à travers une gorge étroite.
En Ouganda et en Tanzanie, de petits agriculteurs vivant dans des maisons en briques de boue avec des toits de chaume ont été expropriés sans jamais avoir été indemnisés. La compagnie de pipeline leur a interdit de planter des cultures commerciales vitales comme les bananes, qui paient la nourriture et les frais de scolarité de leurs enfants.
Des villages de pêcheurs ainsi que les agriculteurs ont été déplacés. Sur les rives du lac Albert, la China National Offshore Oil Corporation a commencé les premiers forages pétroliers en janvier.
Du côté des autorités des deux pays, elles accusent les pays riches dont les émissions ont largement créé la crise climatique d’hypocrisie pour avoir tenté de dissuader les pays pauvres d’exploiter leurs propres ressources pétrolières pour élever leur niveau de vie.
Un projet combattu à l’international
Des activistes et des ONG écologistes sont déjà en ordre de bataille contre ce projet. Coincée, TotalEnergies a reconnu avoir retardé certaines indemnisations parce que les investissements n’avaient pas encore été réalisés et que la pandémie de coronavirus avait causé des problèmes logistiques. Les deux pays ont décidé de verser aux personnes touchées une indemnisation supplémentaire de 15 pour cent en Ouganda et d’environ 12 pour cent en Tanzanie. Il a également déclaré qu’il avait créé des mécanismes permettant à toute personne lésée de se plaindre. China National n’a pas répondu aux demandes répétées des journalistes de commentaires.
Six groupes environnementaux et de défense des droits humains ougandais et français ont poursuivi TotalEnergies pour violation d’une loi française qui oblige les entreprises françaises à respecter les droits humains et les protections environnementales. Le tribunal a rejeté l’affaire fin février, invoquant des raisons de procédure, mais les militants ont promis de continuer à se battre contre TotalEnergies devant et hors du tribunal.
Le financement du pipeline n’a pas été finalisé et les activistes ont réussi à persuader certaines des plus grandes banques du monde de ne pas le soutenir. Plusieurs groupes de défense des droits de l’homme et de l’environnement ont récemment déposé une plainte auprès du gouvernement américain contre Marsh, une société basée à New York qui aurait assuré l’oléoduc.
La ruée vers le pétrole a déjà entraîné un flot de travailleurs, de nouveaux hôtels et des routes éclairées dans la région de Hoima, dans l’ouest de l’Ouganda. Mais les activistes affirment que TotalEnergies et ses partenaires ont gonflé le nombre d’emplois que le projet créera, minimisé dans un premier temps l’ampleur des forages dans le parc Murchison et sous-estimé l’impact total du projet sur le climat.
Hamidou TRAORE