
Louis-R.-Ouedraogo-appelle-à-des-actions-fortes-contre-ces-plantes
42 espèces de plantes envahissantes dont une dizaine aquatique particulièrement nuisibles, submergent d’importants plans d’eau du Burkina. Elles constituent un véritable danger non seulement pour la qualité et la quantité de l’eau, mais aussi nuisent à la biodiversité et entament d’importants pan d’activités socio-économiques. Les spécialistes s’inquiètent et lancent un cri d’alarme pour sauver ces ressources des griffes de ces espèces nocives. Ils recommandent de faire de la lutte contre ces espèces une « priorité nationale ».
« Nous regardons impuissant notre barrage qui nous donnait à manger, qui nous permettait de payer l’éducation de nos enfants, mourir. Les plantes ont pris la place de l’eau… », regrette, avec un visage déconfit, l’ex jardinier Alphonse Ouedraogo. Aujourd’hui reconverti en commerçant ambulant, il confie que la situation du barrage de Boulmiougou, situé à l’arrondissement n°06 de Ouagadougou est dans un état particulièrement déplorable à cause des plantes aquatiques qui entrainent sa disparition.
De visu, ce barrage n’a vraiment plus l’apparence d’une retenue d’eau, mais plutôt une vaste rizière. Son lit est quasi-entièrement colonisé par un type de plante aquatique envahissante qui a l’aspect d’épis de riz. Il s’agit de la typha domingensis (nom scientifique).
Une bonne partie de l’eau est également couverte de nénuphars. Une autre catégorie de plantes aquatiques envahissantes. Les parties sans eau dans la cuvette du barrage sont occupées par des maraîcher-culteurs comme Alphonse. Les riverains interrogés s’accordent que le barrage a perdu une grande quantité de son eau.
Sur une berge, Ernest Sawadogo s’adonne à la pêche à l’aide d’une canne. Il témoigne que le barrage a aussi perdu d’énormes potentialités notamment, en matière de pêche. Et il pointe un doigt accusateur sur la typha domingensis, cette plante aquatique envahissante.
L’ex-jardinier Alphonse Ouedraogo ajoute que les eaux de pluie charrient les ordures de la ville et les laissent dans le barrage. Ce qui a également contribué à son comblement et son ensablement. Malheureusement, ce barrage qui a presque perdu de toute son eau est confronté à un autre danger non moins inquiétant. La maraîcher-culture y est intensément pratiquée. Un des maraîcher-culteurs, Jacques ((nom d’emprunt, n’ayant pas voulu décliner son identité) qui cultive de la salade directement dans le lit du barrage accuse également la Typha domingensis et les ordures charriées par les eaux de pluies comme les principales causes d’assèchement du barrage.
Mais il ignore que sa pratique accélère également l’ensablement du barrage. Selon son témoignage, ils étaient au moins 5 000 personnes à pratiquer la maraîcher-culture et diverses autres activités génératrices de revenus autour de cette retenue d’eau. Mais l’amenuisement avancé de la quantité d’eau du barrage, a poussé une myriade de personnes à se convertir à d’autres activités. Certains endroits du barrage sont carrément utilisés comme des dépotoirs.

Le barrage de Boulmiougou n’est pas un cas isolé dans la ville de Ouagadougou. Les barrages n°2 et 3, dans le quartier de Tanghin souffrent des mêmes maux : un ensablement manifeste à cause des activités culturales dans leurs lits et leurs eaux sont sous l’emprise des herbes aquatiques envahissantes notamment la jacinthe d’eau. Toute l’étendue du barrage n°3 est truffée de la jacinthe d’eau. Quant au barrage n°2, une grande partie est déjà noyée sous la jacinthe d’eau. Il n’y a que la partie coudoyant le pont qui le sépare du barrage n°1 qui laisse entrevoir l’eau.
Selon le phyto-écologue des milieux humides, docteur Louis R. Ouedraogo, le Burkina Faso ne connaissait pas le phénomène des plantes à l’époque. Il a commencé à en souffrir dans les années 2000 avec une vingtaine d’espèces. Malheureusement, elles sont passées de nos jours à 42 dont une dizaine est aquatique.
Un phénomène dans toutes les régions du Burkina Faso
Le barrage de Toéssin, dans la province du Passoré, est aussi en voie de disparition sous l’effet de plantes envahissantes. La moitié de ses 8000 hectares est engloutie par la typha domingensis, déplore le biologiste Louis R. Ouedraogo. « Quand la plante a commencé, comme les riverains ne savaient pas qu’elle était dangereuse, ils se sont assis et regarder… Aujourd’hui sur un hectare, on peut extraire 120 à 140 tonnes de biomasse », affirme-t-il. Et de prévenir : « Si rien n’est fait, dans 10 ans le barrage sera entièrement envahi». La typha domingensis occupe « plus de 50% du plan d’eau du barrage de Toéssin», renchérit le directeur général de l’Agence de l’eau du Nakanbé, Guy Christian Nikiéma.
Le phyto-écologue ajoute que cette plante a infesté de vastes surfaces de plan d’eau dans les provinces du Sourou et de la Gnagna. Il assure avoir alerté, en 2005, les autorités chargées des questions environnementales sur la présence de deux à trois touffes de typha dans un grand barrage à Diapaga. Mais de ses dires, depuis lors, rien n’a été fait, et cette plante règne actuellement en maître sur ledit barrage.
Huit plantes envahissantes existent dans l’espace de compétence de l’Agence de l’Eau du Mouhoun, rapporte une étude intitulée « Inventaire des retenues d’eau confrontées au phénomène de plantes envahissantes dans l’espace de compétence de l’agence du Mouhoun-phase I », publiée en août 2016. Il s’agit de typha domingensis, mimosa pigra, nénuphar, azolla africana, cyperus articulatus, bourgou, persicaria senegalensi et de myriophyllum aquaticum.
La même étude indique que de nombreuses retenues d’eau sont victimes de ces espèces dans quatre régions du Burkina Faso. 15 retenues d’eau dont 14 barrages et une mare ont été inventoriés dans la Boucle du Mouhoun. Les barrages de Tougan, Bagassi, Ouahabou, Pétit Balé et Tchériba sont, entre autres, les retenues d’eau envahies exclusivement par les nénuphars, la belle du jour, le persicaria senegalensis, le mimosa pigra et d’autres espèces dont les noms ne sont pas encore identifiés.
15 retenues d’eau dont six barrages, neuf mares et un lac sont menacés dans la région des Hauts bassins. Au Sud-Ouest, ce sont quatre barrages. Deux sont envahis par les nénuphars, une par le typha domingensis et une autre par le persicaria senegalensis, le mimosa pigra et le Bourgou. Dans la région du Centre Ouest, sept retenues d’eau ont été recensées.
Il ressort du mémoire de master de Jean Ferdinand Sawadogo, soutenu pendant l’année académique 2017-2018, à l’Université Joseph Ki-Zerbo, que le lac de Tengréla « est sujet à une forte colonisation par les plantes aquatiques envahissantes qui nuisent à son bon fonctionnement » et met en péril plusieurs activités génératrices de revenu. Selon Moustapha Congo, Secrétaire permanent pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (SP/GIRE), les plantes aquatiques envahissantes se « trouvent dans tous les espaces de compétence des agences de l’eau, autrement dit dans toutes les régions du pays trouvent dans les espaces de compétence des agences de l’eau, autrement dit dans toutes les régions du pays », Gire Info n°02, p-3, janvier-Juin 2018.
Le secrétaire permanent ne va pas du dos de la cuillère pour engager la responsabilité de l’homme dans ce désastre hydrologique. « Le développement des plantes aquatiques envahissantes et les autres maux sont le résultat de nos mauvaises pratiques et attitudes ». Selon l’Agence de l’eau du Mouhoun, les populations font de plus en plus recours aux pesticides, aux herbicides et aux engrais chimiques tels que le NPK1 indique pour booster leurs productions et augmenter leurs revenus. Par le fait de l’arrosage et du ruissellement, ces produits prennent progressivement contact avec les retenues d’eau et vont s’ajouter aux autres matières polluantes d’origines industrielles et ménagères charriées par les eaux de pluies, explique-t-il. L’une des conséquences de cette situation est l’enrichissement progressif des retenues d’eau en azote et en phosphore.

Des conséquences dramatiques tous azimuts
Une des conséquences des facteurs anthropiques sur les ressources en eau est l’enrichissement progressif des retenues d’eau en azote et en phosphore. Ces substances entraînent la prolifération des plantes aquatiques en générales et des plantes aquatiques envahissantes en particulier, font savoir des chercheurs du domaine.
Les plantes envahissantes et les actions des humains provoquent également la disparition des espèces aquatiques comme le poisson. Sur le plan économique, le phyto-écologue révèle que ces espèces nuisibles met en péril des activités rémunératrices de revenus comme la pêche, la culture maraîchère et l’arboriculture. Ce qui entraîne une perte que d’environ 18 millions de F CFA par an seulement dans les alentours de la forêt classée de la Mou dans la région des Hauts bassins.
Il ajoute que le barrage de Kanazoé qui avait une forte potentialité de production (tomates, oignons, etc) évaluée à 1 600 000 000 FCFA par an connaît un déclin pouvant aller jusqu’à plus de 600 000 000 FCFA à cause de la typha.
Le docteur Louis R. Ouedraogo revèle que les plantes aquatiques envahissantes entraînent une diminution de la quantité d’eau par le phénomène de l’évapotranspiration. A titre illustratif, les pertes d’eau du fait de la jacinthe d’eau dans le barrage n°2 de Ouagadougou sont estimées à 292 320 m3/an soit une perte chiffrée de 55 millions de F CFA. « Les pertes réévaluées dans la zone de Kadiogo se chiffrent à plus de 750 000 000 F CFA ces dernières années », fait-il savoir. L’Agence de l’eau du Mouhoun indique que ces plantes entraînent l’augmentation de l’évapotranspiration entre 3 à 7 % par rapport à la normale. Elle ajoute qu’elles créent, en plus, des habitats propices pour les vecteurs de maladies hydriques comme le paludisme, la bilharziose, le choléra et l’onchocercose.
Conscients des dangers pour les ressources en eau et les espèces vivantes, les Agences de l’eau sont à pied d’œuvre pour venir à bout de ces plantes. Trois types de méthodes de lutte ont été soigneusement étudiées : la lutte mécanique, la lutte chimique et la lutte biologique. Les deux dernières pouvant comporter des aspects imprévus et incontrôlés, et au nom du principe de précautions, Moustapha Congo assure que seule la lutte mécanique est utilisée. Elle consiste à arracher mécaniquement ces plantes et les transporter hors du plan d’eau.
Chaque année, la mairie de Ouagadougou, l’ONEA et l’Agence de l’Eau du Nakambé organisent des opérations d’arrachage de la jacinthe d’eau dans les barrages n°1, 2 et 3 de Ouagadougou.
Cependant ces structures butent sur d’énormes difficultés, notamment financières. Très inquiet de la situation, les personnes averties de la question tirent la sonnette d’alarme. Moustapha Congo interpelle les usagers à « ne pas scier la branche sur laquelle on est assis ». Le phyto-écologue des milieux humides, Louis R. Ouedraogo, appelle les autorités à en faire de la question une « priorité nationale » pour trouver une solution curative avant qu’il ne soit trop tard. Selon lui, ce « mal » peut être transformé en « bien » par l’utilisation de la biomasse pour produire du charbon bio comme le font déjà des pays comme le Sénégal.
Hamidou TRAORE
Encadré 1
Les caractéristiques d’une plante aquatique envahissante
Selon le phyto-écologue des milieux humides, docteur Louis R. Ouedraogo, une espèce est dite envahissante si elle s’établit dans des écosystèmes naturels ou semi-naturels et devient un facteur de changement et une menace pour la diversité biologique indigène…. Le biologiste ajoute que l’espèce envahissante se caractérise par une rapide croissance, une grande capacité de dispersion, de distribution, une compétition effective où elle arrive gagnante sur les espèces locales.
H T
L’insécurité induit l’abandon des actions de protection et de sauvegarde des ressources en eau
L’une des conséquences collatérales de la crise sécuritaire qui frappe durement le Burkina Faso, est l’abandon des actions de protection et de sauvegarde de l’environnement de façon générale et des ressources en eau de façon singulière. Conformément aux missions qui leur dévolues, les cinq Agences de l’eau du Burkina mobilisaient souventes fois les populations riveraines pour des actions de sauvegarde des ressources en eau de leur zone de compétence. L’arrachage des plantes aquatiques envahissantes en faisait effectivement partir. Malheureusement, l’explosion de la crise sécuritaire rend cette tâche inopérante dans les zones sous contrôle des groupes armés. Tant que perdurera cette situation, les plans d’eau en proie à ces plantes calamiteuses connaitront une aggravation.
H T