
La vieille Mariam Sawadogo sur son lieu de travail
Les personnes du troisième âge du Burkina Faso souffrent le martyr, par défaut, entre autres, d’une politique publique d’assistance adéquate peaufinée à leur profit. D’aucuns présentent cette catégorie sociale comme le symbole d’un système de gouvernance fauteur d’inégalité socio-économique.
A 81 ans, la veuve Mariam Sawadogo doit concasser de gros morceaux de granite, dans des conditions effroyables pour subvenir à ses besoins fondamentaux. Cette vieille dame affectueusement appelée « Yaaba » (grande mère en langue locale mooré) a trouvé un poste de casseuse de pierre de granite dans la « carrière de Pissy », située à l’ouest de Ouagadougou, la capitale. Ce site est devenu un véritable réceptacle « des oubliés » de l’Etat burkinabè. Orphelins, veuves, chômeur sans qualificatif, personnes dépourvues de tous soutiens, etc. Ces catégories sociales en marge des politiques publiques y trouvent facilement une place, pourvu qu’elles acceptent travailler dans des conditions surréalistes pour des rémunérations de misère. Cette carrière qui a plus de trente ans ne cesse de voir ses mineurs (exploitants) grossir parallèlement au renchérissement continue du coût de la vie au Burkina Faso…
Abandonnée de toute part et refusant de s’adonner à la mendicité comme certaines personnes de son âge le font, la vieille Mariam Sawadogo a trouvé comme point chute cette carrière aux fins de s’assurer sa pitance quotidienne. Un travail fort pénible pour une personne écrasée par le poids de l’âge et de surcroit une femme. « Le concassage du granite en petits morceaux requiert énormément d’effort et beaucoup de sacrifices », reconnait-elle. En effet, Yaaba brave soleil et pluie. Elle ne fait plus attention aux nuisances sonores entrainées par les coups de marteaux de ses voisins du site, et même des explosions dans la carrière pour faire remonter le granit. Elle est également constamment victime de nuisances visuelle et olfactive générés par la fumée des pneus brulés pour provoquer l’explosion de la roche.
La vieille Mariam Sawadogo n’est pas la seule personne âgée sur le site. « Nous sommes nombreux, on ne connait pas le nombre puisque on ne compte pas », reconnait Rasmané Nana, 63 ans. La carrière de Pissy semble être que la partie visible de l’iceberg. Partout à l’échelle nationale la situation générale des personnes âgées est loin d’être confortable. Dans le quartier Karpala situé dans l’arrondissement 11 de Ouagadougou au secteur n°51, il est fréquent de voir des vieilles dames sous les pilonnes braver les rayons incandescents du soleil pour ramasser du sable qu’elles revendent pour se nourrir. Partout dans la capitale, elles sont nombreuses à s’adonner à tâches rudes. Nous avons même rencontré une vieille à l’université Joseph-Ki Zerbo commise au nettoyage des latrines. Un travail qu’elle exécute avec beaucoup de peine car ne bénéficiant d’aucun moyen de protection adéquat…D’autres personnes âgées au Burkina Faso ont simplement choisi la mendicité comme source de survie. On les rencontre autour des feux tricolores tendant les mains aux usagers des voies. D’autres élisent domicile autour des lieux de culte notamment les mosquées pour recevoir l’aumône. En milieu rural, il n’est pas rare de voir cette catégorie sociale, énormément les vieilles dames passer de longues heures exécuter des travaux champêtres.
Un système de sécurité sociale source de misère pour personnes âgées

Selon le Rapport phare de l’UNRISD (United Nations for Research Institute for Social Development) 2022 sur les inégalités et un nouveau contrat éco-social, « moins de 20 % des personnes âgées perçoivent une pension ». Ce chiffre bien dérisoire s’avère être clément dans le contexte africain surtout Burkinabè. En effet, seulement 10% des personnes âgées du continent bénéficient d’une pension retraite. Au Burkina Faso, seulement 3,2 % des personnes âgées – dont 7,1 % d’hommes et 0,5 % de femmes, selon les données disponibles de 2009 (International Labour Office, 2014) –, perçoivent une pension de retraite. Cette situation tire sa cause principalement du système de sécurité sociale du pays. En effet, au Burkina Faso la majorité écrasante des personnes âgées, ont évolué dans le secteur informel où aucun système de cotisation pour la pension retraite était prévu. Devenus vieux et vieilles, ils sont par conséquents dépourvus de pension retraite et de tout soutiens structurels, notamment financiers leur permettant de faire face au renchérissement continu du coût de la vie et autres aléas existentiels. Pire, aucune politique publique structurelle ne corrige cette situation. Ainsi, la jouissance de plusieurs droits économiques, sociaux et culturels, s‘avère obstruée. Pourtant l’Etat burkinabè a ratifié le 21 juillet 1984 la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981 qui engage les Etats à adopter en faveur des personnes âgées des « mesures spécifiques de protection en rapport avec les besoins physiques et moraux ». Ce n’est qu’en octobre 2016, soit 32 ans après que l’Assemblée nationale du Burkina Faso vote une loi spéciale dédiée aux personnes du troisième âge. Il s’agit de la loi 024 portant protection et promotion des droits des personnes âgées. Cette une loi qui a le mérite de concentrer énormément d’avantage pratiquement dans tous domaines pour les personnes âgées du Burkina Faso. Malheureusement, comme nous a expliqué Paul Kabre, expert en droits humains au ministère de la justice, des Droits humains et de la Promotion civique, cette loi n’est jusque-là pas appliquée parce que « les décrets d’application n’ont pas suivi ».

Pourtant, selon cet expert, cette loi de façon particulière, en plus de toutes les autres normes juridiques de droits humains édictées au plan nationale, régionale et internationale auxquelles le Burkina a souscrit devraient améliorer les conditions de vie des personnes du troisième âge au Burkina. L’homme a pris part au travaux préliminaires sur cette loi. Il se rappelle qu’un participant scandait que scandait que la prise de cette loi était une honte pour le pays. Pour le plaignant, « c’est parce que les personnes âgées souffrent de nos jours contrairement aux sociétés africaines traditionnelles que l’Etat se voit obligé de la prendre ». A la question de savoir pourquoi cette loi n’est toujours opérationnelle, un haut cadre du ministère de la Solidarité, de l’Action humanitaire, de la Réconciliation nationale, du Genre et de la Famille indique que c’est essentiellement à cause des problèmes financiers que la mise en œuvre de la loi implique. Pour le secrétaire général de l’association PAPA (Protection et Assistance aux Personnes Âgées), Yacouba Guiro, c’est plutôt un « manque de volonté politique, une indifférence aux souffrances de ceux et celles qui d’une manière ou d’une autre ont contribué à l’avancée du Burkina Faso ». « C’est très méchant de voir nos pères et mères vivre ce qui leur reste comme temps dans la souffrance. C’est une indignité nationale », ajoute-t-il.
Un système économique et fiscal fauteur d’inégalité
La Constitution burkinabè proclame que les ressources du pays sont utilisées pour améliorer les conditions de vie de tous les citoyens sans distinction. Le Burkina Faso soit devenu un géant minier occupant le 4e rang en Afrique. Depuis 2009, l’or est le premier produit d’exportation du pays, détrônant ainsi le coton. Environ 13 mines industrielles sont en exploitation. Même la crise sécuritaire a porté un coup dur à ce secteur, il n’en reste pas moins que les ressources minières continuent d’être exploitées à outrance sans les conditions de vie des populations notamment des couches vulnérables comme les personnes du troisième âge ne soient améliorées. Pire, selon plusieurs études du Centre d’Etude Appliqué aux Finances Publiques (CERA-FP), le gouvernement burkinabè ne cesse de faire faveurs fiscales à ces sociétés à travers des exonérations qui, en réalité ne produisent aucun avantage pour le pays.
Outre, toujours selon CERA-FP le système fiscal du Burkina est source d’inégalité au détriment des plus pauvres dont les personnes âgées. En effet, cette idée est illustrée à travers la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) qui une taxe fixe fixée à 18% pour toutes les catégories sociales riche comme pauvre. Ce qui « n’est pas à l’avantage et même injuste », selon Hermann Doanio économiste, expert des finances publiques et Secrétaire exécutif du CERA-FP. Le niveau de pauvreté chez les personnes âgées au Burkina est très élevé. Déjà la plupart sont sans revenus, l’entraide familial n’est pas à la hauteur. C’est qui pousse nombre d’entre elles à mendier ou pratiquer activités dangereuses pour leur santé.
Le Rapport phare de l’UNRISD 2022 sur les inégalités et un nouveau contrat éco-social rappelle à juste titre que « La pauvreté exacerbe souvent la violence structurelle et la discrimination dont souffrent déjà les personnes qui appartiennent à une ou plusieurs catégories marginalisées, par exemple…, les personnes âgées,…».
Une défaillance de gouvernance !
A cette pauvreté des personnes âgées, des autorités burkinabè semble répondre par du saupoudrage. Par exemple, le 20 août 2018, le président de l’Assemblée nationale Alassane Bala Sakandé, s’est rendu à la carrière d’exploitation de granite de Pissy. Il a écouté les doléances des personnes y travaillant. Mais rien n’a changé pour ces personnes. Le 16 décembre 2017, il s’était rendu dans un orphelinat où il a promis céder la moitié de son salaire au profit des orphelinats du Burkina. A ces propos, Anselme Somda, ancien député de la Transition de 2015 indique que si le président voulait vraiment clement envers les personnes défavoriser, il n’avait qu’à peser de tout son poids pour faire une loi qui sera traduit en politique publique. Pour l’ancien député, c’est la défaillance de la gouvernance qui marginalise et maintient ces groupes dans la pauvreté.
Un seul gériatre pour 1 million 23 000 personnes âgées

Selon les résultats du dernier recensement général de la population de 2019, le Burkina compte environ 1 million 23 000 personnes âgées. Les problèmes de santé à la tête de liste de leur préoccupation. Cet avis est corroboré par le docteur Ouedraogo Sylvain : « La vieillesse est période de polypathologie ». Pourtant, le Burkina n’a qu’un seul gériatre qui est le docteur Ouedraogo Sylvain qui jusque n’est même pas encore intégrer dans l’administration sanitaire public. En termes d’infrastructures, le Burkina n’a pas encore un Centre de gériatrie opérationnel….
Pour changer la donne, l’UNRISD recommande l’avènement d’un « nouveau contrat éco social fondé sur une vision de la justice, de l’égalité et de la durabilité. Pour ce faire, nous avons besoin d’un nouveau modèle de développement reposant sur trois piliers essentiels : des approches économiques alternatives axées sur la justice environnementale et sociale et rééquilibrant les relations État-marché-société-nature ; des politiques sociales transformatrices fondées sur un pacte fiscal équitable ; et un multilatéralisme et des solidarités repensés ».
Hamidou TRAORE