
Le Professeur Djibrihinna Ouedraogo plaide pour le respect des exigences de l'Etat de droit dans la lutte contre le terrorisme
« La lutte efficace contre le terrorisme et le respect de l’état de droit : liens irréconciliables ? », c’est le thème disséqué par le Professeur Djibrihinna Ouedraogo, agrégé de droit public et enseignant à l’Université Thomas Sankara, à l’occasion de la journée internationale de la démocratie célébrée ce jeudi 15 septembre 2022 à Ouagadougou. Le Professeur n’a pas hésité à adopter une position « tranchée et assumée ».
Le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) a organisé une série de panel autour du thème général « Quel nouveau contrat social pour le Burkina Faso ? ». Des sommités du monde universitaire dont le Professeur Djibrihinna Ouedraogo se sont penchés sur des thématiques de l’actualité brulante du Burkina Faso définies à partir du thème central. Le Professeur a analysé l’un des thèmes les plus attendus par les participants issus des différentes estrades de la société burkinabè. Dans sa démarche explicative, le Professeur Ouedraogo a carrément pris partie pour répondre à la redoutable question posée par le thème qui lui a été soumis. Ce qui a eu le mérite de permettre aux participants d’assimiler clairement sa communication. D’emblée, le Professeur a procédé à des éclaircissements sur certaines notions. Ainsi, concernant l’État de droit, le Professeur a indiqué qu’il peut être défini « très simplement comme un système juridique et institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit et placée sous le contrôle de juges indépendants ». Sur ce plan, poursuit l’agrégé de droit public, « l’Etat de droit est le seul régime qui respecte les libertés publiques, définies justement comme les libertés consacrées par des règles juridiques et soumises à une garantie juridictionnelle ».
Confrontant cet Etat de droit à la lutte contre le terrorisme, le juriste affirme que l’Etat de droit, met en avant la liberté de l’individu. Et de préciser que c’est à ce niveau que « surgit la tension avec la lutte contre le terrorisme qui met en avant la nécessité de la sécurité ».
Dans la foulée, le Professeur a évoqué des situations où la lutte contre le terrorisme a été un alibi pour limiter des libertés. Il a cité par exemple le cas des USA et du Patriot Act qui a enfreint à la constitution américaine, suite aux attentats du 11 sept 2001. Il a également relevé une telle situation au Burkina Faso avec l’adoption par l’Assemblée Législative de la Transition (ALT) de la loi portant habilitation du gouvernement à « prendre des mesures dans le cadre des sujétions liées aux nécessités de la défense nationale »; la réforme du code pénal en 2019, visant à sanctionner la diffusion des informations susceptibles de démoraliser les troupes dans la lutte contre le terrorisme.
« les liens sont loin d’être irréconciliable… »
Le Professeur n’a pas hésité d’affronter et de répondre clairement à la question posée par le thème. Dans une démarche pédagogique, l’agrégé de droit public explique : « La question posée est alors de savoir si les impératifs sécuritaires doivent entamer l’expression des libertés ? La nécessité de respecter les droits fondamentaux nuirait-elle à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme ?
A ces interrogations, une alternative, pour ne pas dire un choix cornélien, s’impose : la sécurité ou la liberté ? Remettre en cause, au nom de la lutte contre le terrorisme, des libertés garanties par la Constitution, revient ainsi à contester l’existence même de l’Etat de droit ».

Et dans la foulée, le Professeur tranche : « Le sujet étant à la forme interrogative, il appelle une réponse par oui ou non. Je prends le parti de répondre par non en soutenant que les liens sont loin d’être irréconciliable ». Il soutient cette position par deux grandes idées : une efficacité de la lutte non compromise par l’Etat de droit et une efficacité non démontrée des atteintes portées à l’Etat de droit. Le juriste a soutenu la première idée par deux arguments. Il s’agit de l’existence d’un droit d’exception qui accorde aux autorités de police administrative des prérogatives qui dépassent le champ habituel de leurs compétences. Il explique que par ce biais, ces autorités peuvent limiter plus facilement l’exercice des droits et libertés. Il illustre ses propos avec le cas de l’état d’urgence.
Le second argument se fonde sur la nécessaire application optimale du droit d’exception. A ce propos, l’universitaire signale que les restrictions ne doivent pas être « manifestement inadaptées ou disproportionnées au regard de la menace à laquelle elles sont censées parer, qu’on n’ait pas le sentiment que cette mesure est brandie comme un prétexte pour poursuivre d’autres objectifs et renforcer globalement les pouvoirs de police, que les décisions d’exception cessent de recevoir application lorsque la menace n’est plus là ! »
Sur l’argument de l’efficacité non démontrée des atteintes à l’Etat de droit, le Professeur Djibrihinna Ouedraogo relève un « flux pas si heureux », pour dire qu’il n’est pas certain que les mesures attentatoires aux libertés, parviennent « à réduire conséquemment la menace terroriste ». Mieux, il ajoute que les résultats du « tout sécuritaire ne sont pas probants ». Encore sur cette idée, l’homme de droit cite des cas concrets : la débâcle des USA en Afghanistan, le cas libyen avec la persistance de la violence terroriste depuis l’intervention occidentale.
Hamidou TRAORE