
Ce couple de personne âgées crient toute leur misère, faute de soutien adéquat
Empêtrées dans l’indigence, une multitude de personnes du troisième âge au Burkina Faso souffre le martyr par défaut d’une adéquate politique publique d’assistance. Les mesures correctives envisagées tardent à être effectif.
Commise au nettoyage d’un des importants blocs de latrine de l’université Joseph Ki Zerbo, une vielle dame sollicite l’attention des étudiants autour d’elle pour leur poser une question. « Mes enfants,… s’il vous plait je voudrais savoir si c’est la méchanceté qu’on vous enseigne ici dans vos classes ? ». A cette surprenante question aux allures d’une remarque sur le comportement de ces intelos usagers des latrines, certains étudiants visiblement courroucés commencent à bouder par des signes de désapprobation. Très rapidement, la majorité prend la défense de la vieille nettoyeuse. Pour eux, la vieille a tout à fait raison de poser cette question car eux aussi se demandent si certains utilisateurs des latrines sont vraiment des « personnes sensées ». La vieille est chargée de rendre propre les latrines sans même un minimum de condition de sécurité sanitaire. Ne bénéficiant d’aucune source de revenu pour ses besoins fondamentaux, la vieille dame se voit contrainte de parcourir une vingtaine de kilomètre chaque jour à l’aide d’un velo de fortune pour nettoyer les latrines moyennant une rémunération de misère.
Mais derrière cette situation se cache une autre réalité macabre au Burkina Faso. L’abandon des personnes âgées à leur sort et une carence de politique publique devrant leur permettre de mieux vivre leurs vieux jours et quitter cette terre étant fières de leur pays. Le cas de la vieille nettoyeuse est loin d’être un cas isolé.
Un système de sécurité sociale source de misère pour personnes âgées
Au quartier Wemtenga, le septuagénaire Amado K et son épouse âgée de plus de 60 ans doivent compter essentiellement sur l’aumône que des personnes de bonne volonté leur offrent. Pendant son jeune âge Amado dépourvu de diplôme exerçait en qualité d’ouvrier sur les chantiers de travaux publics. Il assure même avoir pris part à la construction de l’université de Ouagadougou. Son statut d’ouvrier payé à la journée ou à la semaine ne lui permettait pas d’être inscrit à la Caisse nationale de sécurité sociale et cotiser pour une éventuelle pension retraite. Ainsi, devenu vieux, il vit sans pension de retraite. A la question de savoir s’il bénéficie d’une aide quelconque de l’État burkinabè, le vieux pousse un rire narquois et retourne une autre question : « Est-ce que nous comptons même pour l’Etat ? »
Dans plusieurs quartiers de Ouagadougou, il n’est pas rare de voir des personnes âgées ramasser et vendre du sable pour se prendre en charge.
Si certaines pratiquent des activités éprouvantes, nombre d’entre elles notamment celles qui, en plus de la vieillesse vivent avec un handicap soit visuel soit physique s’adonnent à la mendicité pour s’assurer leur pitance quotidienne.
Selon Yacouba Guiro, secrétaire général de l’Association Protection et Assistance aux Personnes Âgées (PAPA), toutes ces personnes sont « victimes d’un système de sécurité sociale inique qui ne prenait en compte que les travailleurs qui exerçaient un emploi formel où ils ont pu cotiser pour leur pension retraite. La majorité écrasante qui se débrouillait dans le secteur informel n’ont pu le faire car le système ne prévoyait rien pour eux. Devenu vieux et vieille, ils doivent se débrouiller pour vivre soit avec le soutien de la famille, soit ils doivent trouver par eux même leur moyen de survie. Ce qui n’est pas toujours aisé au regard du poids de l’âge ». En juillet 2021, le facebooker Alino Faso lançait sur sa page un « SOS exceptionnel » pour vieille de 65 ans (Ouedraogo Tenin Rasmata), engagée dans la brigade verte de la mairie pour balayer les voies publiques de Ouagadougou. Cette vieille avait été heurtée par un motocycliste et s’est retrouvée avec plusieurs fractures. Pourtant des droits sont reconnus à cette catégorie sociale.

Droits humains reconnus aux personnes âgées inopérants
L’article 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dispose que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». En souscrivant à cette Déclaration et son contenu dans le préambule de la Constitution, l’Etat burkinabè affichait une intention d’assurer un mieux-être à chaque fille et fils du pays. Selon Paul Kabre, expert en droits humains, toutes les catégories sociales sont visées par les dispositions générales des droits de l’homme. Comme si cette disposition ne suffisait pas, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981que le Burkina Faso a ratifié le 21 juillet 1984 engage, en son article 18. 4, stipule que « les personnes âgées… ont droit à des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux ».
Selon l’expert en droits de l’homme, M. Paul Kabré, les personnes âgées bénéficient des règles juridiques générales des droits l’homme édictées au plan international, régional et national. Cependant, ajoute l’expert, en raison de leur spécificité et de leur vulnérabilité, des règles spécifiques de droits humains leur ont été consacrées. D’ailleurs, rappelons que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981que le Burkina Faso a ratifié le 21 juillet 1984 engage les Etats parties, en son article 18, à l’adoption de « mesures spécifiques de protection en rapport avec les besoins physiques et moraux » des personnes âgées. 32 ans après sa ratification, le Burkina Faso adopte en octobre 2016, une loi spéciale dédiée aux personnes du troisième âge. Il s’agit de la loi 024 portant protection et promotion des droits des personnes âgées. Elle « couvre les domaines de la santé, de la solidarité nationale, de la sécurité sociale, des sports, des loisirs, des arts, de la culture, de la communication, des transports, de la participation à la vie publique et politique, de la justice, des libertés publiques, de l’emploi, de la formation professionnelle et du logement ». Six ans après l’adoption de cette loi, bien qu’elle concentre beaucoup d’avantages pour assurer un mieux-être à cette catégorie sociale, elle reste inopérante par défaut de décret d’application. C’est ce que Paul Kabre évoque effectivement comme un obstacle majeur dans l’application de ladite loi. Joint au téléphone, la directrice du service de la communication du Ministère de l’action sociale confirme que la loi n’est toujours pas applicable. Un haut cadre du ministère de l’action sociale justifie cette non application par des problèmes financiers. Pour le secrétaire général de l’association PAPA, c’est plutôt un « manque de volonté politique, une indifférence aux souffrances de ceux et celles qui d’une manière ou d’une autre ont contribué à l’avancée du Burkina Faso ». « C’est très méchant de voir nos pères et mères vivre ce qui leur reste comme temps dans la souffrance. C’est une indignité nationale », poursuit Yacouba Guiro. L’effectivité de ces droits devrait en principe permettre aux « anciens » de vivre dans des conditions agréables. L’expert Paul Kabré signale que la loi 024 concentre plusieurs avantages qui devraient assurer une meilleure condition de vie au profit des personnes âgées. Elle couvre les domaines de la santé, de la solidarité nationale, de la sécurité sociale, des sports, des loisirs, des arts, de la culture, de la communication, des transports, de la participation à la vie publique et politique, de la justice, des libertés publiques, de l’emploi, de la formation professionnelle et du logement. Il ajoute que cette loi prévoit des exonérations et autres facilités pour permettre l’accès des personnes âgées indigentes à des services publics comme dans les formations sanitaires à moindre coût ou même gratuitement.
Un seul gériatre pour 1 million 23 000 personnes âgées
« La vieillesse est période de polypathologie », indique le docteur Ouedraogo Sylvain, le seul gériatre opérant actuellement au Burkina Faso. Du point de vue sanitaire qui constitue un des gros soucis des personnes en âge avancé, le gériatre souligne que ces personnes à cause du poids de l’âge « cumulent beaucoup de problèmes de santé, parce que en vieillissant presque tous ces organes vont commencer à s’affaiblir. Donc en vieillissant, on additionne les problèmes de santé… ». Le docteur indique que les plus fréquents sont les problèmes de cœur, les problèmes d’arthrose c’est-à-dire les douleurs de dos, aux épaules, des articulations ; les problèmes digestifs, car elles n’ont pas souvent l’appétit, ou sont fréquemment constipées à cause d’une alimentation non adaptée ; des problèmes respiratoires. Docteur Ouedraogo s’attarde sur le problème de dépression dont les personnes âgées souffrent énormément au Burkina. Il signale que ces personnes font « plus de dépression que les jeunes » car dans la plupart du temps elles sont isolées et cela « pèse sur leur moral ». Les problèmes de sexualité sont également un souci car vieux comme vieille en souffrent, selon le gériatre.

Malgré cette polypathologie dont sont victimes les personnes âgées, le système sanitaire burkinabè s’illustre par un manque criard d’infrastructure pour leur prise en charge adéquate. Il en est de même de personnes ressources. A titre illustratif, le docteur Sylvain Ouedraogo est le seul gériatre au Burkina Faso pour une population d’environ 1 million 23 000 personnes du troisième âge selon le dernier recensement. Ayant constaté l’absence de gériatre et que la discipline n’existe même pas dans les curriculas des enseignements en medecine dans les universités du Burkina, Sylvain Ouedraogo décide en 2014 de s’y spécialiser à ses propres frais en allant d’abord en Côte d’Ivoire, ensuite en France avec une bourse de l’Etat burkinabè. Après la formation, lui et une dame qui avait fait la même formation en France entrent pour servir leur pays le Burkina. Ils se heurtent à des problèmes d’intégration dans le service public sanitaire. La dame ne se casse pas la tête. Elle retourne en France pour faire valoir ses compétences. Le docteur Ouedraogo qui espérait que les choses s’arrangeront commence à désespérer après avoir été victime d’une grave dépression. Il n’exclut plus retourner également en France où des opportunités l’attendent.
En termes d’infrastructures, un cadre du secteur de la santé rappelle que l’Etat avait prévu depuis 2012, la construction d’un Centre de gériatrie. Et ce n’est qu’en 2019 que le projet a démarré et devrait être livré en neuf mois. « Jusqu’aujourd’hui juin 2022, le centre n’est pas achevé », conclut-il.
Le docteur spécialiste de la santé des personnes âgées regrette l’absence d’un centre gériatrique qui faciliterait une meilleure prise en charge de cette catégorie sociale qui est assailli par plusieurs maladies.
Hamidou TRAORE