UN Photo/Mona Elfateh Au Soudan, en proie à une guerre civile, des femmes se réunissent pour discuter de la paix et des droits de l’homme.
Par Hamidou TRAORE, (tr.hamidou@gmail.com)
Un quart de siècle après l’adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, l’ONU dresse un constat accablant : les droits des femmes reculent à un rythme alarmant dans les zones de conflit.
Dans un rapport publié lundi 20 octobre 2025, le Secrétaire général António Guterres décrit une « régression historique » : les violences sexuelles liées aux guerres ont bondi de 87 % en deux ans, tandis que 676 millions de femmes vivent aujourd’hui à moins de 50 kilomètres d’un conflit meurtrier, un record depuis les années 1990. Les victimes civiles parmi les femmes et les enfants ont, elles, quadruplé.
« Les graves violations commises contre les femmes et les filles en Afghanistan, en République démocratique du Congo, en Haïti, au Myanmar, au Soudan et dans le Territoire palestinien occupé illustrent les risques extrêmes auxquels elles sont confrontées », écrit M. Guterres.
Une guerre menée sur le corps des femmes
Le rapport dresse un tableau glaçant : en Haïti, plus des deux tiers des violences signalées sont sexuelles. En RDC, devenue l’un des épicentres mondiaux de ces crimes, 38 000 cas ont été recensés au Nord-Kivu depuis le début de l’année, dans le sillage de l’offensive des rebelles du M23.
L’ONU évoque désormais la notion de « violence reproductive », qui englobe la destruction délibérée de maternités ou le blocage de l’accès aux soins. À Gaza, des milliers de femmes accouchent « au milieu des décombres, sans anesthésie, ni soins post-partum, ni eau », dénonce le rapport. Ces violences, autrefois qualifiées de « dommages collatéraux », sont désormais utilisées comme armes de guerre à part entière. « Ces chiffres traduisent une guerre menée sur le corps des femmes et des filles, dans un mépris choquant du droit international », a déclaré Sarah Hendriks, directrice de la division politique d’ONU Femmes.
Exclues des processus de paix
Alors qu’elles paient le prix le plus lourd, les femmes restent quasiment absentes des négociations censées ramener la paix. Neuf processus sur dix les excluent totalement. En moyenne, elles ne représentent que 7 % des négociateurs, 14 % des médiateurs et 20 % des signataires d’accords de paix. Sur les 36 accords conclus en 2024, seuls 11 font référence aux femmes ou à la question du genre.
« Les halls de gouvernement, les tables de paix et les institutions de sécurité restent dominés par les hommes, trop souvent sans réelle responsabilité quant aux conséquences de leurs décisions », déplore António Guterres. Pourtant, les études le confirment : lorsque les femmes participent, les accords de paix sont plus durables. « Les femmes ne sont pas des symboles, elles sont ce qui rend la paix possible et durable », insiste Nyaradzayi Gumbonzvanda, directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes.

Le monde se réarme, les femmes en paient le prix
Dans le même temps, la planète se réarme à une vitesse record. Les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 700 milliards de dollars en 2024, en hausse de 9,4 % en un an – la plus forte progression depuis la fin de la guerre froide.
« Le monde va dans la mauvaise direction. Les dépenses militaires atteignent des niveaux records, tandis que l’égalité des genres et le multilatéralisme sont attaqués », a alerté Mme Gumbonzvanda à New York.
Le contraste est saisissant : moins de 0,4 % de l’aide humanitaire en contexte de conflit parvient aux organisations de femmes. Faute de financements, la moitié de ces structures locales risquent de fermer d’ici six mois.
Les Casques bleus face à un défi grandissant
Les missions de maintien de la paix tentent de préserver un équilibre fragile. La proportion de femmes dans les contingents a plus que doublé depuis 2018, dépassant à peine 10 %. Mais la recrudescence des violences dépasse souvent leurs capacités d’action.
« Le retrait des missions crée un vide sécuritaire qui rend les femmes et les filles plus vulnérables », avertit le rapport, citant notamment la fin programmée de la MONUSCO en RDC.
Un horizon politique décevant
Quelques avancées symboliques – comme l’élection de femmes présidentes au Mexique, en Namibie ou en Macédoine du Nord – ne suffisent pas à masquer le déséquilibre persistant : plus d’une centaine de pays n’ont jamais été dirigés par une femme, et seules 29 d’entre elles sont actuellement à la tête d’un État.
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) appelle à dépasser le seuil des 30 % de représentation et à viser la parité intégrale.

Une révolution invisible : les données
L’un des enjeux les plus méconnus concerne la production de données de genre. Le rapport plaide pour une « révolution des données », afin de mieux documenter la réalité vécue par les femmes en guerre : sécurité, santé, justice, moyens de subsistance. Actuellement, seuls 15 % des financements dédiés aux statistiques y sont consacrés.
« Sans données fiables, les femmes restent invisibles dans les politiques publiques, et les régressions, impossibles à mesurer, se perpétuent », alerte M. Guterres.
Un avertissement sans détour
Sous son langage diplomatique, le rapport sonne comme un réquisitoire. « Le monde se trouve à un moment où la polarisation politique menace d’effacer des décennies de progrès. Le silence et l’inaction permettront à ces schémas de se poursuivre », prévient le Secrétaire général.
Sarah Hendriks conclut, sans détour : « Si les tendances actuelles se poursuivent, nous risquons d’effacer vingt ans de progrès sur les droits des femmes en contexte de conflit. »
Vingt-cinq ans après la promesse d’un monde plus égalitaire, l’ONU tire une fois encore la sonnette d’alarme : les femmes ne demandent plus des promesses, elles exigent qu’elles soient tenues.
Hamidou TRAORE
