
Le président en exercice de l'Union africaine appelle à l'annulation des dettes africaines
Lancée depuis 1996 par les institutions de Breton Woods (Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI)), l’initiative Pays Pauvre Très Endettés (PPTE), qui visait, entre autres l’allègement de la dette publique extérieure et par ricochet, à améliorer les conditions de vie des populations des pays du Sud, via l’élimination de la pauvreté, peine à produire ses effets escomptés. Pire, ces pays renouent avec la spirale du surendettement et des millions de personnes versent dans l’extrême pauvreté. Plus de deux décennies après, le FMI « s’inquiète » et la Banque mondiale « alerte » du poids de la dette publique sur le développement. Et comme le malheur n’arrive pas seul, la pandémie du Covid 19 vient aggraver la situation au point où le président en exercice de l’Union africaine Macky Sall demande l’annulation de la dette africaine.
«… Nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide », professait Thomas Sankara le 4 octobre 1984, du haut de la tribune de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. Aujourd’hui, ces propos retentissent dans toute sa véracité dans nombres d’Etats africains. Face à l’explosion exponentielle de la dette publique extérieure des pays du Sud et qui avait eu comme effet domino d’obstruer le développement et le bien-être des populations de ces pays, leurs principaux créanciers que sont la Banque mondiale, le FMI et la Banque Africaine de Développement (BAD) avaient bien accepté passer l’éponge sur une bonne partie de leur dû. Et obligation était faite sur les pays bénéficiaires d’injecter montants abandonnés par les créanciers dans les secteurs sociaux de base comme l’éducation, la santé et à la réduction de la pauvreté. En 2006, l’initiative PPTE concernait 42 pays, dont les trois quarts sont situés en Afrique subsaharienne (40 pays fin août 2006). Malencontreusement, si l’on doit faire un bilan, l’annulation de la dette s’avère être un coup d’épée dans l’eau.
De retour dans la spirale du surendettement ?
Le 17 mai 2018, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s publiait une étude dressant le bilan de l’initiative PPTE dans les pays africains bénéficiaires sous un titre incisif : « La résurgence des risques sur le remboursement de la dette en Afrique subsaharienne suggère un échec de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ». Faisant écho de cette de cette étude, l’hebdomadaire Jeuneafrique titrait un article dans sa parution du 28 mai 2018, « Dette : vingt ans après l’initiative PPTE, retour au point de départ ? ». De prime abord, l’agence de notation indique que «L’initiative PPTE a aidé les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont bénéficié à réduire leurs stocks nets de la dette publique de plus de 100% du PIB en 2000 à 24% du PIB en moyenne en 2008 et 18% en 2011. ». Cependant, elle révèle en même temps que « depuis 2011, les stocks nets moyens de la dette publique ont encore augmenté pour atteindre 53% du PIB en 2017.» Dans la foulée, Standard & Poor’s ajoute que « Dans les pays d’Afrique subsaharienne notés par S&P, les dépenses au titre de service de la dette ont augmenté, passant de 4% des recettes des Etats en 2011 à 11% en 2017.». En plus, il ressort que deux Etats, le Congo et le Mozambique, ont un niveau d’endettement « égal ou supérieur à celui qu’ils affichaient à leur entrée dans le programme ». Et six pays consacrent « aujourd’hui une plus large part de leurs recettes publiques à rembourser les intérêts de leur dette, que dans les années 2000 ». Il s’agit du Ghana, le Mozambique, le Rwanda, le Sénégal, l’Ouganda et la Zambie. A titre illustratif, le service de la dette du Ghana représentait 36,2% des recettes de l’Etat en 2017 alors qu’il était à 32,9% au commencement de l’initiative PPTE.
Analysant la situation sous l’angle du risque, l’agence de notation signale que la République du Congo, endettée à hauteur de 117 % de son PIB, demeure un sujet d’inquiétude. En avril 2018, la note souveraine attachée à Brazzaville était de CCC+ (risque élevée).
Pourtant, initialement, l’initiative PPTE visait à sauver ces Etats des griffes de l’endettement exponentiel qui était devenue insoutenable. « Quand elles ont été décidées, ces actions devaient sans doute être un remède à prise unique et faire disparaître le problème de la dette dans les pays concernés. Or, à peine 15 ans après, nous voici revenus quasiment au point de départ », déplore Ravi Bhatia, analyste chez Standard & Poor’s et par ailleurs auteur du Rapport. Malgré cette mauvaise performance, l’analyste note une meilleure trajectoire dans les pays francophones, notamment au Burkina Faso, au Cameroun, ou en RDC. Des pays où la macroéconomique n’est pourtant pas radieuse, en comparaison de leurs voisins anglophones. Sur ce point, Ravi Bhatia fait une précision : « Le revenu et la dette sont deux problématiques différentes. Le Ghana, par exemple, réalise de bonnes performances en matière de PIB, mais il doit consacrer plus d’un tiers de ses recettes publiques aux intérêts de sa dette. Il est vrai qu’on peut avoir besoin de la dette pour arriver à de la croissance, mais il y a un équilibre à trouver pour que cette dette reste à un niveau soutenable. Cela étant, avec une croissance rapide, vous pouvez toujours vous sortir d’un problème d’endettement ». Et il finit par reconnaitre que « c’est par la croissance et l’efficacité de la fiscalité que les États concernés pourront remonter la pente ».
La dette extérieure de la zone UEMOA va crescendo
L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui a produit une étude sur la situation économique de l’union, corrobore une partie de cette affirmation de l’analyste. En effet, dans son Rapport semestriel d’exécution de la surveillance multilatérale, paru en décembre 2018, l’institution indique que les « paiements au titre des intérêts sur la dette poursuivraient leur augmentation avec un accroissement de 17,7% ». L’étude indique une progression du taux d’endettement de l’Union à « 47,8% en 2018 contre 45,4% en 2017 ». En sus, le Rapport de juin 2020 de cette organisation communautaire indique que la dette extérieure a atteint 750,2 milliards à fin décembre 2019 alors qu’elle s’élevait à 600,8 milliards à fin décembre 2018. Cette hausse d’endettement confirme les propos de l’analyste de Standard Poor’s qui prévenait deux avant que les niveaux d’endettement resteraient élevés en Afrique subsaharienne dans les années à venir et que plusieurs pays de la région demeureront « très vulnérables à divers risques globaux».
Embouchant la même trompette que l’analyste Ravi Bhatia, Abebe Aemro Sélassié, directeur du département Afrique du FMI, tire la sonnette d’alarme : « Les vulnérabilités économiques sont en hausse dans de nombreux pays qui tardent à assainir leurs finances publiques. Sur les 35 pays à faible revenu de la région, 15 sont aujourd’hui en surendettement ou risquent fortement de le devenir ». Ce responsable estime que la forte hausse du service de la dette qui en résulte consume les ressources qui font défaut à la santé, à l’éducation et aux infrastructures. Dans la foulée, Abebe Aemro se montre dubitatif sur la possibilité de ces pays à « réaliser les objectifs du développement durable » dans de telles conditions.
Quant à la Banque mondiale, elle émet le même signal d’alarme. Elle met en garde dans son rapport sur l’économie planétaire, publié le mardi 8 janvier 2019 en ces termes: « Les vulnérabilités liées à la dette dans les pays à bas revenus ont énormément augmenté depuis quelques années ». Pour étayer ses propos, cette Banque signale qu’en 2017, l’endettement moyen des pays à bas revenus dépassait 50 % de leur produit intérieur brut (PIB), contre environ 30 % en 2013. Et certaines trajectoires sont vraiment ahurissantes. Par exemple, en Gambie, le fardeau de la dette est passé de 60 % du PIB à 88 % du PIB en quatre ans et le service de la dette absorbe désormais 42 % des recettes de l’Etat. Au Mozambique, en défaut sur le paiement de certains intérêts, l’endettement public a bondi de 50 % à 102 % entre 2013 et 2018. Plusieurs raisons expliquent ce retour à l’endettement massif.
Les raisons du retour dans le surendettement
D’abord, il faut noter que les pays concernés sont dépendants de certains facteurs qui sont souvent, s’avèrent être également la source de leur faiblesse. Confrontés à des moments de baisse des cours des matières premières, de stagnation de l’aide publique au développement etc, plusieurs États africains reconnus comme pays pauvre très endettés se sont tournés vers les marchés internationaux des capitaux afin de répondre à leurs besoins de financement. Faute d’avoir opéré des réformes économiques d’envergure et profondes notamment fiscale, ces pays sont tombés à nouveaux dans la spirale d’un endettement massif comme celle qu’ils étaient censés sortir. Et malheureusement, les dettes contractées sont allées dans la consommation que dans des activités productives. Le pic d’endettement est intervenu en 2014. Il a coïncidé avec les premières difficultés des émetteurs souverains. Certains gouvernements ont commencé à émettre des obligations libellées en devises étrangères qui ensuite augmentent le poids de la dette en cas de dépréciation de la monnaie locale. Il faut aussi souligner que les prêts concessionnels -prêts accordés à des conditions plus favorables que celles du marché- n’ont cessé de baisser. Ils sont passés de 42,4 % sur la période 2006-2009 à 36,8 % sur 2011-2014. Dans le même temps, les États ont commencé à emprunter à certains pays émergents à des taux d’intérêt plus élevés et avec un niveau de concessionnalité moindre par rapport aux emprunts financés par les banques traditionnelles (multilatérales et régionales et les agences nationales de développement). Cela a entrainé non seulement une accumulation de dettes mais également une extrême vulnérabilité. «Compte tenu des charges d’intérêt élevées et des nouveaux types de dette que les pays de la région sont en train d’accumuler, le risque de non-remboursement a refait surface.», reconnait l’agence de notation Standard&Poor’s. Et évoquer « de nouveaux types de dette », fait penser à la Chine dont les mécanismes d’endettement des PPTE inquiètent.
La présence de la Chine inquiète
La situation alarmante de la croissance de la dette est accentuée par la présence de la Chine populaire sur le continent. Ce pays est devenu un créancier majeur du continent. Elle prête à des conditions très avantageuses, avec des taux d’intérêts de 0% contre 2 à 3% comparés aux pays occidentaux. Ce qui pousse les pays africains à emprunter massivement auprès de ce pays. De 2000 à 2017, le gouvernement chinois, les banques et les sous-traitants ont consenti des prêts d’un montant de 143 milliards de dollars américains aux gouvernements africains, contre seulement quelques 4 milliards de dollars d’investissement sur la même période. Ainsi, l’endettement extérieur de l’Afrique par la Chine est passé de 28 % en 2005 à environ 46 % du total en moyenne sur la même période. Selon les chiffres, la Chine représente à elle seule 14 % du stock de dette de l’Afrique subsaharienne. Par exemple, sur la dette extérieure totale du Kenya, 55% constitue une dette envers la Chine. Djibouti se trouve dans la même situation avec 60%. Et donc, Selon Fred Eka, économiste et chercheur post-doctorat, au regard des conditions très avantageuses des prêts de la Chine, avec des taux d’intérêts de 0%, les pays africains sont tentés d’emprunter encore et encore. Pour lui, le risque est que ces prêts soient « non productifs c’est-à-dire orientés dans les dépenses de fonctionnement et de prestige plutôt que dans les investissements ». Dans la même logique, Ibrahim Anoba, analyste pour Africanliberty, signale que la Chine donnerait « discrètement des prêts aux dirigeants africains avides et ne communique pas sur les détails du remboursement de prêt de peur de susciter l’émoi du peuple. Ainsi, si les pays africains ne sont pas en mesure de rembourser leurs dettes, la Chine saisit leurs hypothèques, constituées principalement d’actifs clés nationaux ». Mais pour l’analyste, le plus alarmant est le fait que la majorité de ces pays africains ne pourra pas atteindre les objectifs pour lesquels ces prêts ont été contractés, à cause de la « corruption et de la mauvaise performance économique »…
Il faut par ailleurs rappeler que le G20 a également alerté sur le flux massif d’endettement des pays africains par la Chine. Des économistes préoccupés de la situation parlent du « piège de la dette ». Le paradoxe est que même en Chine, l’inquiétude va crescendo. Ainsi, l’économiste Li Ruogu, ancien président de la Banque chinoise d’import-export (Exim Bank), alerte que « peu d’Etats africains ont la capacité de rembourser les sommes prêtées ». Un autre signal d’alarme vient Christine Lagarde. En effet, à l’occasion du forum sur les « nouvelles routes de la soie » tenu à Pékin en Avril 2018, elle interpellait les pays africains qui empruntent à la Chine de ne pas avoir l’impression de bénéficier de « repas gratuit ». Elle conseillait alors à ces gouvernements des investissements plus « collectifs et une gestion plus attentive » des ressources financières empruntées.
En outre, l’annulation totale de la dette implique généralement d’intenses négociations politiques. La Banque de développement de Chine et la Banque d’import-export de Chine représentent la majeure partie des prêts accordés aux pays africains. Ces institutions sont étroitement liées au gouvernement chinois et à son initiative « Belt and Road ». Elles sont donc susceptibles de se conformer à la position officielle du gouvernement.
En avril 2020, la Chine a exprimé sa volonté d’accorder un allègement, mais pas une remise de sa dette, à l’Afrique. Lors d’une réunion avec les dirigeants africains à la mi-juin pour discuter de la réponse à la COVID-19, le président chinois Xi Jinping a proposé d’annuler les prêts sans intérêt de l’Afrique, mais a indiqué que les négociations seraient menées de manière bilatérale.
Cependant, l’Université Johns Hopkins aux Etats-Unis analyse que les prêts que la Chine a l’intention d’annuler représentent moins de 5% de la dette de l’Afrique envers la Chine, ce qui représente une forte augmentation de la dette du continent.
Aujourd’hui l’inquiétude de l’endettement du continent s’étend au Japon qui accorde des prêts aux Etats africains PPTE à travers le Tikad…
La pandémie du Covid 19 aggrave la donne
L’apparition brutale de la pandémie du Covid 19 est venue aggraver la situation des PPTE qui s’enlisaient dans le surendettement. En rappel, le Mozambique qui croulait sous une dette extérieure de 14 milliards de dollars avant la crise sanitaire mondiale avec un ratio dette/PIB du pays qui s’élevait à 100 % en 2018, a explosé pour atteindre 130 % en 2020. Ce volume de la dette de ce pays qui dépasse sa production économique totale, donne très peu de possibilité au pays pour faire face à la pandémie. A l’instar du Mozambique, plusieurs pays africains lourdement endettés tels que l’Angola, le Cap-Vert, le Congo, Djibouti et l’Égypte (tous avec un ratio dette extérieure/PIB supérieur à 100 %) risquent de connaitre de sérieuses difficultés de financement de leurs services publics notamment sociaux. D’ailleurs, une récente étude de l’Union africaine (UA) relatif l’impact économique de COVID-19, publiée en mai 2020, a indiqué que le continent pourrait perdre jusqu’à 500 milliards de dollars et que les pays pourraient se voir obliger de recourir à nouveau massivement à l’endettement pour garantir sa survie. D’ores et déjà des leaders mondiaux lèvent la voix pour demander l’annulation de la dette des Etats à bas revenus dont ceux de l’Afrique.
Hamidou TRAORE