Le Burkina Faso a, sous l’égide du Ministère de l’agriculture, des aménagements hydro-agricoles et de la mécanisation- célébré la 41e journée mondiale de l’alimentation les 15 et 16 à Ziniaré (chef-lieu de la région du Plateau-Central). Deux importantes activités ont marquées cette célébration : un panel réflexif avec des experts du domaine sur le thème de la journée, « Agir pour l’avenir. Améliorer la production, la nutrition, l’environnement et les conditions de vie ». Et une foire de présentation des produits locaux de la région du Plateau-Central.
Le ministre Salifou OUEDRAOGO a dépeint une situation alarmante de l’alimentation au Burkina Faso. Trois millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire avec un indice de faim de 25,8% en 2020 et une prévalence à la sous-alimentation de 14,40%. Une situation occasionnée, selon le ministre, par l’insécurité dans certaines localités du pays, l’avènement de la Covid 19, la forte pression démographique, les changements climatiques, la dégradation des ressources naturelles, etc. En effet, la pandémie de la Covid 19 a dégradé le pouvoir d’achat des ménages, occasionné une flambée des prix des denrées alimentaires. Pire. Elle a freiné l’activité des marchés tant ruraux qu’urbains. En plus, les difficultés d’approvisionnement en denrées alimentaires et en intrants de production se sont aggravées. Les signaux d’alarme du ministre sont corroborés par d’autres acteurs avertis. Le représentant de la FAO au Burkina, Daouda Sau s’est inquiété de l’amplification de la dégradation des terres au Burkina qui n’est pas de nature à garantir une production agricole optimale. « La progression de la dégradation des terres est estimée de 105 000 à 250 000 ha par an. Cette progression ainsi la détérioration de la situation sécuritaire dans 5 des 13 Régions du Pays a pour corollaire la réduction des espaces cultivables d’où l’énorme pression et la compétition sur les ressources qui engendrent les conflits » s’alarme le représentant de l’organisation onusienne. Dans la même logique, le Dr François LOMPO, directeurs de Recherche en Agro Eco Pédologie qui a co-animé le panel a indiqué que les changements climatiques ont des impacts négatifs sur les systèmes de production. En effet les sécheresses ou les inondations qu’ils provoquent, ainsi que par les variations de température, conduisent à des productions agricoles faibles du fait de la faible ou de la forte de disponibilité de l’eau qui ne permettent pas de satisfaire les besoins en eau et en éléments nutritifs des cultures. Ces changements climatiques ont des impacts sur la faible disponibilité et la faible qualité de l’eau pour l’alimentation en eau des hommes, des animaux ; les productions de contre saison ; l’aquaculture (source diversifiée de protéines) et pour les productions forestières (fourniture de produits forestiers non ligneux). Le directeur a pointé du doigt d’autres problèmes qui obstruent le secteur. Il s’agit de l’insuffisance du financement des secteurs de production ; le chômage des jeunes et le faible accompagnement des initiatives en entrepreneuriat agricole notamment celles portées par les jeunes et les femmes ; l’accès faible aux marchés des intrants, du crédit et des produits des activités agricoles; les limites des systèmes nationaux de conseil, de recherche et de formation agricole au bénéfice de l’agriculture familiale (accès limité à l’information, aux techniques et technologies agricoles). Cette donne a des conséquences dramatiques sur les populations à la base. Ainsi, le Dr S. Prosper Sawadogo Spécialiste en Nutrition Expert nutritionniste, FAO, Burkina Faso qui a disséqué un thème au panel a signalé que 82,5% des femmes en âges de procréer n’ont pas accès à une alimentation diversifiée. En plus, 78,1% des enfants de 6-24 mois n’ont pas accès à une alimentation acceptable. Il ajoute que les prévalences de la malnutrition stagnent, voire se détériorent. 24,9% soit plus d’un million d’enfants de moins de 5 ans sont atteints de retard de croissance. 9,1% (plus 700 mille enfants) d’émaciation ». L’expert tire donc une décevante conclusion pour susciter un changement de cap : « Le Burkina Faso n’est pas en voie d’atteindre l’objectif « Faim zéro » d’ici à 2030 ».
Et pourtant les potentialités existent
Le docteur et chercheur en Agro Eco Pédologie a longuement présenté les « nombreuses potentialités du Burkina Faso » pour assoir des systèmes de production alimentaires performants à même de pouvoir améliorer considérablement la situation alimentaire. M. Lompo a constaté à la fois avec satisfaction et désolation que le Burkina possède d’environ 9 millions d’ha en terres arables, de plus de 233 500 ha de terres irrigables ainsi que de bas-fonds de l’ordre de 500 000 ha facilement aménageables, mais malheureusement ces potentialités sont très faiblement exploitées. En plus, il existe environ 1 200 plans d’eau (barrages, lacs, mares) avec une capacité de stockage de plus de six (06) milliards de mètres cubes d’eau de surface par an pour le développement de l’approvisionnement en eau potable, de l’irrigation, de la pêche et de l’aquaculture ; un cheptel numériquement important et diversifié estimé à un effectif de 10 442 213 bovins, 17 084 565 caprins, 11 410 270 ovins, 51 925 450 têtes de volaille ; Vingt-six (26) zones pastorales aménagées d’une superficie de 775 000 ha sur plus de 160 zones potentiellement aménageables, d’aires villageoises de pâture, de couloirs de transhumance et des zones agroécologiques permettant le développement d’un élevage diversifié ; plus de 376 espèces ligneuses ; etc. Le directeur de recherche a constaté avec amertume que toutes ces potentialités ne sont pas exploitées à la hauteur de leurs capacités de production.
L’urgence d’améliorer la situation
Avec environ un million et demi de personnes déplacées internes, le Burkina fait face à une situation alimentaire critique. Le ministre Salifou Ouedraogo et bien d’autres personnes ressources sont unanimes pour dire qu’il y a urgence à agir pour satisfaire la demande alimentaire croissante. Le ministre a donc plaidé pour l’essor de systèmes alimentaires garantissant de manière fiable la sécurité alimentaire et la nutrition pour tous, tout en étant rentables sur le plan économique. Il appelle également à un système alimentaire dont l’impact sur le climat, la biodiversité et le milieu naturel soit positif ou neutre et que les pauvres ne soient pas laissés pour compte. De plus, les aliments doivent être sains afin de ne pas créer d’autres problèmes comme l’obésité, un phénomène qui est d’ores et déjà le premier facteur de charge de morbidité dans le monde. Embouchant la même trompette, le représentant de la FAO affirme que la lutte contre la pauvreté et la malnutrition passe par la mise en place de systèmes alimentaires plus inclusifs et durables, c’est-à-dire qui intègrent davantage les groupes de producteurs et de consommateurs vulnérables et qui adoptent des modes de production et de consommation durables. Côté financement, M. Sau Daouda a déclaré que la FAO estime qu’il faut 40 à 50 milliards d’USD d’investissements annuels dans des interventions ciblées pour éliminer la faim d’ici à 2030. De nombreux projets peu coûteux et percutants peuvent aider des centaines de millions de personnes à mieux répondre à leurs besoins alimentaires. Dans la même logique, M. François LOMPO a défendu l’idée d’accroitre les financements dans le secteur agricole et alimentaire. Il a alors proposé l’allocation annuelle de 1% du budget national à la recherche Agricole. Il a également plaidé pour la promotion des pratiques agro écologiques qui permettent d’améliorer la fertilité du sol, de produire des aliments de qualité sans produits chimique, de maintenir le couvert végétal, les écosystèmes et la biodiversité.
Le Dr S. Prosper Sawadogo a proposé l’adoption d’un système de consommation durable au Burkina qui s’inscrit dans un système alimentaire durable. En d’autres termes un système alimentaire qui garantit à chacun la sécurité alimentaire et une bonne nutrition sans compromettre les bases, économiques, sociales, environnementales. Pour ce faire, il a suggéré une agriculture sensible à la nutrition, une agriculture avec des objectifs nutritionnels.
Hamoidou TRAORE