Par Hamidou TRAORE, (tr.hamidou@gmail.com)
Une grave fuite d’eau contaminée au cyanure s’est produite sur le site de la société minière Orezone, opérant dans la commune rurale de Mogtédo, province du Ganzourgou dans le Plateau-Central (à environ 80 km de Ouagadougou). Dans sa course, cette eau cyanurée (produit hautement toxique et mortel) s’est retrouvée dans le Nobsin, un cours d’eau dont dépendent les riverains. La contamination de ce cours d’eau a immédiatement entrainé la mort massive de poissons et la destruction de la biodiversité. Cette eau contaminée s’est éparpillée dans une rizière de plus de cinq hectares et des champs où sont pratiqués une agriculture de subsistance. Une dizaine d’animaux, bœufs, moutons, chèvres et des poulets ayant bu l’eau le jour de l’incident en sont immédiatement morts. Bref, cette fuite a détruit les moyens de subsistance de la population riveraine. Ecocide ? Depuis le jour de l’incident, le 23 janvier dernier, la situation continue de susciter de vives inquiétudes au sein des communautés locales.
Zénabo (nom d’emprunt), veuve et mère de quatre enfants, a vu ses deux plus gros bœufs s’effondrer devant elle après avoir bu l’eau de la rivière. C’était toute sa richesse, accumulée pendant des années de dur labeur. Elle comptait vendre un des bœufs à la prochaine foire pour payer les frais de scolarité de ses enfants dont le fils aîné dans une université privée dans la capitale Ouagadougou. En les voyant couchés, raides et sans vie, elle s’est effondrée, incapable de croire à cette perte brutale. Pour elle, ces animaux n’étaient pas seulement une source de revenus, mais une sécurité pour l’avenir de sa famille. Aujourd’hui, elle ne sait pas comment elle va nourrir ses enfants ni reconstruire ce qu’elle a perdu.
Madi (nom d’emprunt), un homme d’une cinquantaine d’années, cultive le riz dans les bas-fonds depuis qu’il est adolescent. Il a hérité de cette terre de son père, et c’est tout ce qu’il possède. Lorsqu’il a vu l’eau cyanurée envahir ses champs, il a immédiatement compris que tout était perdu. Les jeunes pousses de riz ont jauni et pourri en quelques heures. Le riz était sa seule source de revenus, mais aussi sa fierté. Aujourd’hui, son champ est un marécage toxique. Il se sent trahi, impuissant, abandonné.
Yvette (nom d’emprunt), 17 ans, aime se promener près de la rivière Nobsin depuis l’enfance. Elle y allait souvent avec ses petites sœurs pour puiser de l’eau, laver les habits ou simplement se rafraîchir. C’était un lieu de vie, de souvenirs, de rires. Aujourd’hui, la rivière est devenue un poison. Elle a vu flotter des poissons morts, des oiseaux inanimés sur les berges. Pire encore, plusieurs chèvres de la famille sont mortes après avoir bu cette eau. Yvette pleure cette nature qu’elle aimait, cette rivière qui faisait partie de son quotidien. Elle se sent blessée dans son lien à la terre, comme si on lui avait volé une part de son enfance.
Ces trois personnes, chacune à sa manière, incarnent la douleur d’une communauté frappée de plein fouet par une pollution irréversible, perdant à la fois leurs biens, leurs espoirs, et leur lien vital à la nature.



Selon les premières informations, le déversement accidentel d’eau contenant du cyanure (substance hautement toxique utilisée dans l’extraction de l’or) a franchi les limites de sécurité de la mine. La fuite a été provoquée par une rupture de tuyauterie lors du pompage de la boue post-extraction. Cette eau contaminée a gagné un bas-fond marécageux utilisé pour la riziculture avant de se déverser dans la rivière Nobsin (la rivière a pris le nom du village). Les résidents du village de Nobsin situé à proximité de la l’exploitation minière ont connu la dangerosité du cyanure par la rapidité avec laquelle ce produit a tué les animaux ayant bu l’eau contaminée. Dans sa course, elle a contaminé la végétation, les sols, les cours d’eau… et causé la mort de plusieurs animaux. Deux gros bœufs, des chèvres, moutons et des poulets sont morts sur place après avoir bu l’eau. Ce sont là, les principaux moyens de subsistance de cette population riveraine qui ont détruits.
La réaction tardive de la mine pointée du doigt
Un résident de Nobsin, témoin de la scène, affirme avoir vu l’eau s’échapper de l’enceinte grillagée de la mine. Alertée, la société aurait dans un premier temps minimisé l’incident, soulignant qu’il n’y avait rien à craindre. C’est lorsque les animaux ayant consommé cette eau ont commencé à mourir, que les villageois sont répartis vers la mine avec plus de vigueur pour qu’elle fasse quelque chose pour arrêter la fuite. « Je ne suis pas du tout content de la mine », s’indigne un homme qui a perdu des animaux dans cette fuite. Dans la foulée, un autre qui a vu son champ contaminé se demande s’il pourrait récolter et si cette terre sera encore exploitable. M. Alira Analira, directeur de l’environnement et des relations communautaires chez Orezone, affirme avoir été le premier représentant de la mine à se rendre sur les lieux.
Un périmètre de sécurité mis en place dans l’urgence
Les services environnementaux étatiques (eaux et forêts) informés de l’incident se sont rendus sur le terrain pour constat les faits. Un nombre important des éléments des forces de défense et de sécurité (notamment la police nationale et des vigiles de la société) a été mobilisé pour établir un cordon sécuritaire autour de la zone touchée. Les animaux encore présents ont été évacués, et des barrières de terre ont été érigées pour stopper la propagation de l’eau polluée vers la rivière. A plus de trois kilomètres, une quantité importante de terre est déversée dans la rivière dans le but de na pas contaminer toute la ressource. Malheureusement, un nombre important de poissons sont morts flottant sur l’eau. Les services des Eaux et forêts assurent avoir fait immédiatement des prélèvements et les analyses ont confirmé une forte présence de cyanure dans l’eau et sur une vaste surface de terre cultivable dont des champs.

Pollution sur un périmètre de plusieurs kilomètres
Selon le directeur de l’environnement, la zone touchée couvrirait environ trois hectares de rizière et s’étendrait sur un kilomètre, tandis que certains habitants estiment la pollution à plus de trois kilomètres. Des arbres contaminés se sont asséchés, recensés par les services des eaux et forêts. Des dizaines d’animaux (bœufs, moutons, chèvres, volailles) en sont morts. Si six cas d’animaux morts ont été officiellement enregistrés par la mine, les villageois évoquent un bilan plus lourd, plus d’une trentaine notamment des cas d’animaux développant des symptômes inquiétants deux semaines après les faits.
À proximité de la zone touchée se trouvent deux puits que les habitants utilisent pour leur consommation, ce qui accroît la peur de voir les nappes phréatiques touchées.
Les mesures de « restauration » engagées par la mine
Face à la gravité de la situation, la société minière dit avoir pris une série de mesures : déversement d’hypochlorure de calcium pour neutraliser le cyanure, pompage et récupération de l’eau contaminée, et décapage sur cinq hectares du sol pollué. Lors de notre passage sur les lieux le 11 février dernier, les travaux de ramassage des terres contaminées se poursuivaient, sous la surveillance continue des forces de l’ordre. Une réponse qui ne satisfait pas les populations. Nous avons requis l’avis de plusieurs experts nationaux sur la question qui ont tous décliné notre demande.

Des inquiétudes persistantes sur les effets à long terme
Malgré ces mesures, les populations restent sceptiques. Que deviendra leur environnement dans 10, 20 ou 50 ans ? Les puits seront-ils toujours utilisables ? Le riz produit sur ces terres sera-t-il sain ? Les animaux survivants développeront-ils des maladies chroniques ? Autant de questions que se posent les habitants de Nobsin, inquiets pour leur santé et celle des générations futures.
Des demandes claires des communautés
Les victimes demandent des indemnisations à la hauteur des pertes subies, mais aussi un suivi environnemental indépendant et régulier (chaque six mois ou chaque année) par un laboratoire crédible. Elles souhaitent également un temps d’observation des animaux survivants, avec la possibilité d’un accompagnement technique et/ou financier en cas de maladie liée à l’incident.
Orezone promet d’assumer ses responsabilités

Aussitôt que nous avons joint au téléphone, le directeur de l’environnement et des relations avec les communautés de la mine, M. Alira Analira, ce dernier nous a immédiatement fixé un rendez-vous pour répondre à nos questions. Le ton est conciliant. Il a reconnu l’avènement de l’incident. Il assure que tout sera mis en œuvre pour endiguer cette pollution comme ces mesures exposées ci-dessus. Il indique qu’un comité inclusif est mis en place pour instruire l’affaire. Et la mine attend les conclusions pour faire ce qu’elle doit faire en termes de réparation des préjudices. Le directeur assure que sa société est disposée à dédommager les victimes et même à réparer les préjudices moraux.
Le ministère de l’environnement sera-t-il à la hauteur des enjeux environnementaux causés par cette pollution ?
Nous avons voulu rencontrer les services compétents du ministère de l’environnement pour savoir ce qu’ils comptent faire pour une éventuelle restauration conséquente des lieux contaminés. Nous avons joint la direction du service de la communication dudit ministère. Une première fois, le directeur Kalfa Ouattara nous avait promis nous revenir. Après environ une semaine de silence, nous nous sommes rendus une fois de plus au ministère pour tenter de rencontrer le ministre himself. Peine perdue. Un agent de son protocole nous renvoie à la direction de la communication. Joint au téléphone à deux reprises, le directeur ne nous a pas répondu. Nous avons tenté notre chance à la Direction générale de la préservation de l’environnement. Des agents nous reçoivent mais nous explique gentiment qu’ils ne peuvent pas nous parler car, entre autres, le dossier est en procédure d’instruction… Nous attendons donc voir comment le ministère va gérer cette affaire avec efficience.
Hamidou TRAORE
Encadré 1
Le Burkina, mauvais élève en matière de protection de l’environnement en matière minière
L’histoire de l’extraction minière du Burkina est jalonnée à foison de scandales environnementaux. La catastrophe environnementale occasionnée à Poura, par la première mine industrielle du Burkina Faso, exploitée par la Société de Recherche d’Exploitation Minière du Burkina (SOREMIB), dans la région de la Boucle du Mouhoun qui persiste jusqu’à présent déchaine toutes les préoccupations. Depuis sa fermeture en 1999, elle a laissé derrière elle une catastrophe environnementale notamment hydrique sans précédent. En effet, le bac à cyanuration à ciel ouvert qui s’étale sur une surface d’environ un demi hectare continue de contaminer les eaux de surface et souterraine de la zone…
Le Rapport d’enquête parlementaire de 2016 sur l’exploitation minière cite des cas avérés la pollution minière: « Le parc à résidus de la société des mines de Bélahouro aurait cédé et occasionné une mortalité d’animaux… ; … il a été observé la mort d’animaux suite à la consommation d’eau ou d’herbe ;- De nombreux points d’eau (eau de surface et forages) et de pâturages sont contaminés, et ont entrainé la mort d’animaux (bovins, caprins…) dans la région du sahel à Gaskindi, Gomdé fulbé et mossi (communes de Tongomayel et de Koutougou), à Gorom Gorom, dans la région de l’est à Fada, dans la région du Sud-ouest et du Mouhoun. L’utilisation du cyanure et du mercure a été signalé sur les sites d’orpaillage notamment à Gosey et à Banadiara. L’utilisation de ces produits a entraîné l’apparition de certaines maladies jadis éradiquées telles que le charbon bactérien et une mortalité d’animaux inexpliquée (intoxication de vautours et de poissons en 2014) ; Les sites de mines abandonnés pour cause de fin d’exploitation (Kalsaka, Poura) ou de suspension (Tambao), et bien d’autres sont quasiment des « crimes à l’environnement ».
Encadre 2
Un système d’exploitation minière problématique pour l’environnement ?
Il est clairement écrit dans le document de la Politique Nationale de l’Eau, publié en mars 2015 par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques, de l’Assainissement et de la Sécurité alimentaire que « Pour chaque gramme d’or obtenu par amalgamation, environ deux grammes de mercure s’échappent dans le milieu ambiant, polluant directement les sols, l’eau et l’air ». Le même document ajoute que « L’exploitation minière pratiquée au Burkina Faso a des répercussions néfastes sur l’environnement quel que soit le mode d’exploitation… Le risque d’une dégradation environnementale consécutive aux activités d’exploitation minière demeure l’un des plus élevés, que celles-ci soient menées en surface ou en profondeur ».
Une précédente étude intitulée « Analyse économique du secteur des mines, liens pauvreté et environnement » du Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie (MECV) qui date de mai 2011 indique : « Dans les mines, l’usage de produits hautement toxiques (mercure, cyanure) pour l’amalgamation et la cyanuration de l’or augmente fortement la pollution des eaux. »
Dans la même lancée, les résultats d’une étude publiée en décembre 2018 par GLOCON Country Report intitulée : « Les mines nous rendent pauvres » : L’exploitation minière industrielle au Burkina Faso », les auteurs Franza Drechsel, Bettina Engels et Mirka Schäfer affirment que « L’exploitation minière a également des impacts considérables sur l’environnement, tels que… la contamination des eaux de surface et des nappes phréatiques ».
Une protection de l’environnement banalisée au Burkina
Une étude intitulée « Évaluation environnementale et sociale du secteur minier Approche stratégique en vue de l’amélioration de la gestion environnementale et sociale du secteur minier » du Ministère des Mines et de l’Énergie (janvier 2014) corrobore l’avis des experts environnementalistes qui s’inquiètent de l’état de l’environnement en quelque points :« La protection de l’environnement n’a jamais été une priorité des gouvernements successifs. La gestion environnementale n’existe que sur papier et en fonction des pressions extérieures (Nations Unies, Banque Mondiale, ONG). L’allocation budgétaire en matière de protection de l’environnement, et en particulier en matière d’évaluation environnementale, reste faible. La gestion environnementale est à ses débuts et est souvent fonction des pressions extérieures (Nations Unies, Banque Mondiale, ONG) et intérieures (textes de loi, Commission Nationale des investissements). Le ministère de l’Environnement a constamment changé d’orientation et de structuration depuis les 20 dernières années. Le lobbying des sociétés minières fait en sorte que peu de moyens sont mis en œuvre pour le contrôle. Il y a une insuffisance de connaissance ou d’intérêt général pour la protection de l’environnement.
Les conséquences qui en découlent sont un suivi environnemental et social du secteur minier quasi inexistant. Aucune donnée sur le suivi des risques environnementaux et sociaux des sociétés minières et une Capacité réduite d’intervention du BUNEE pour la réalisation de son mandat légalement défini. »
H T
