Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’apprête à lancer une monnaie commune adossée à l’or. Tranchant ainsi avec le dollar-roi omniprésent à l’échelle mondiale mais flottant dans le vide. C’est donc un véritable séisme économique en latence dont l’annonce devrait être faite au sommet de Johannesburg en août. Outre, il serait également à l’ordre du jour, l’élargissement du groupe, 41 pays ayant manifesté leur intérêt pour l’adhésion aux BRICS. La dédollarisation de l’économie mondiale s’accélère !
Un autre ordre mondial économique se dessine petit à petit avec l’avènement des BRICS. Les Etats membres veulent instaurer un ordre financier en rupture avec le système actuel marqué par l’hégémonie du dollar américain dont certains économistes n’hésitent de qualifier de « papiers » pour critiquer le fait que cette monnaie ne soit adossée à rien. Rappelons que c’est en 1971 que le président américain Richard Nixon a décidé que le dollar ne sera plus gager sur aucune valeur matérielle. C’est ainsi que cette monnaie ne plus adossé à l’or. Cette décision a permis à Washington de répandre des flots immenses de monnaie américaine sur le monde et de dominer tous les secteurs d’activité industrielle et commerciale du monde.
Le retour de Lula Da Silva à la tête du Brésil a donné un coup d’accélérateur à la prise de cette décision historique qui consistera à créer une monnaie commune adossée à l’or. Les BRICS veulent avec cette nouvelle donne que la monnaie soit véritablement au service du développement. « Cette monnaie facilitera le développement car, après tout, la monnaie est la quantité de biens matériels dont disposent les sociétés », indique Pali Leohla, ex-haut fonctionnaire sud-africain.
L’Iran accueilli en tant que membre permanent !
Le 23e sommet des chefs d’État de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s’est tenu le 4 juillet 2023 virtuellement à New Delhi, a matérialisé cette l’histoire qui se dessine. En effet, trois BRICS (Russie, Inde, Chine), plus le Pakistan et quatre « stans » d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Tadjikistan), ont finalement et officiellement accueilli la République islamique d’Iran en tant que membre permanent. L’année prochaine, ce sera au tour de la Biélorussie, comme l’a dit le premier vice-ministre indien des Affaires étrangères, Vinay Kvatra. La Biélorussie et la Mongolie ont participé au sommet de 2023 en tant qu’observateurs, et le Turkménistan, en qualité d’invité. Après des années de « pression maximale» exercée par les États-Unis, Téhéran pourrait enfin se débarrasser de l’emprise des sanctions et consolider son rôle de premier plan dans le processus actuel d’intégration de l’Eurasie.
La star du spectacle à New Delhi a sans doute été le président biélorusse Alexandre Loukachenko, qui dirige son pays depuis 1994. Le vieux Louka, imbattable dans le domaine des gros titres, en particulier après son rôle de médiateur dans l’affaire Prigojine, a peut-être inventé le slogan définitif de la multipolarité. Oubliez le « milliard d’or » occidental, qui atteint à peine 100 millions d’habitants, et adoptez désormais le « Globe mondial », avec une attention toute particulière pour le Sud mondial. Pour couronner le tout, Loukachenko a proposé une intégration totale de l’OCS et des BRICS – qui, lors de leur prochain sommet en Afrique du Sud, prendront la direction des BRICS+. Il va sans dire que cette intégration s’applique également à l’Union économique eurasiatique (UEEA).
La prochaine étape pour le « Globe mondial » – ce que l’Occident collectif qualifie avec mépris de « reste » – consiste à travailler sur la coordination complexe de plusieurs banques de développement, puis sur le processus d’émission d’obligations liées à une nouvelle monnaie d’échange. Les idées principales et le modèle de base existent déjà. Les nouvelles obligations seront une véritable valeur refuge par rapport au dollar américain et aux bons du Trésor américain, et impliqueront une dédollarisation accélérée. Les capitaux utilisés pour acheter ces obligations devraient servir à financer le commerce et le développement durable, dans ce qui sera un « gagnant-gagnant » certifié, à la chinoise.
Une convergence géoéconomique
La déclaration de l’OCS indique clairement que l’organisme multilatéral en expansion « n’est pas dirigé contre d’autres États et organisations internationales ». Au contraire, elle est « ouverte à une large coopération avec eux, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations unies, de la Charte de l’OCS et du droit international, sur la base de la prise en compte des intérêts mutuels ». L’objectif est bien sûr la volonté d’instaurer un ordre mondial multipolaire équitable, à l’opposé de «l’ordre international fondé sur des règles » imposé par l’hégémonie américaine. Les trois nœuds clés sont la sécurité mutuelle, le commerce en monnaies locales et, à terme, la dédollarisation. Il est important de souligner la convergence des objectifs exprimés par la plupart des dirigeants lors du sommet de New Delhi.
Le Premier ministre indien Modi a déclaré dans son discours liminaire que l’OCS serait aussi importante que l’ONU. Parallèlement à Modi louant le rôle clé de l’Iran dans le développement du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), le président iranien Ebrahim Raïssi a fermement soutenu les échanges commerciaux de l’OCS dans les monnaies nationales pour briser de manière décisive l’hégémonie du dollar américain.
Dans la foulée, le président chinois Xi Jinping, quant à lui, s’est montré inflexible : « La Chine est tout à fait favorable à la mise à l’écart du dollar américain, à la fermeté contre toutes les formes de révolutions de couleur et à la lutte contre les sanctions économiques unilatérales ».
Le président russe Vladimir Poutine a une nouvelle fois souligné combien « les forces extérieures ont mis en péril la sécurité de la Russie en déclenchant une guerre hybride contre la Russie et les Russes en Ukraine ». De façon pragmatique, Poutine s’attend à ce que les échanges commerciaux au sein de l’OCS, utilisant les monnaies nationales, augmentent – 80% des échanges commerciaux de la Russie se font aujourd’hui en roubles et en yuans – en plus d’un nouvel élan de coopération dans les domaines de la banque, de la numérisation, de la haute technologie et de l’agriculture.
Le président kirghize Sadyr Japarov a également insisté sur les règlements mutuels dans les monnaies nationales, plus une mesure cruciale : la création d’une banque de développement et d’un fonds de développement de l’OCS, assez similaires à la Nouvelle banque de développement (NDB) des BRICS.
Le président Kassym-Jomart Tokaïev du Kazakhstan, qui exercera la présidence de l’OCS en 2024, a également soutenu un fonds d’investissement commun, plus la configuration d’un réseau de partenaires de ports stratégiques majeurs liés à la BRI de la Chine, ainsi que la Route internationale de transport transcaspienne basée à Astana, reliant l’Asie du Sud-Est, la Chine, le Kazakhstan, la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Europe.
Bien entendu, tous les membres de l’OCS ont convenu qu’aucune intégration de l’Eurasie n’est possible sans la stabilisation de l’Afghanistan…
Hamidou TRAORE