Les propos du président Tunisien, Kaïs Saïed, sur les migrants issus des pays d’Afrique subsaharienne, a provoqué une indignation populaire. Ce dernier ne s’est pas empêché de parler, lors d’une réunion du conseil national, « de horde de migrants clandestins » relevant d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie ».
La quête de construction d’une véritable Union africaine vient à nouveau de prendre un coup avec les propos du président tunisien, Kaïs Saïed. Le mardi 21, la présidence tunisienne avait informé la presse de la tenue du conseil de sécurité national en indiquant que la réunion était « consacrée aux mesures urgentes qui doivent être prises pour faire face à l’arrivée en Tunisie d’un grand nombre de migrants clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne », selon un communiqué de la présidence. Au cours de cette rencontre, le président tunisien s’est adressé aux autorités lui demandant d’agir « à tous les niveaux, diplomatiques sécuritaires et militaires » pour faire face à cette immigration et à « une application stricte de la loi sur le statut des étrangers en Tunisie et sur le franchissement illégal des frontières ». L’Union africaine a régi pour condamner ces propos.
Après avoir accusé « l’ennemi intérieur » par Kaïs Saïed d’avoir fomenté une tentative d’assassinat contre sa personne, voici maintenant l’ennemi extérieur indexé au plus haut niveau. Le premier citoyen de la Tunisie voit désormais dans l’arrivée de migrants subsahariens « une entreprise criminelle qui n’a de but que de transformer la Tunisie en un pays africain et de modifier son caractère arabo musulman ». Kaïs Saïed s’en prend aux « hordes de migrants clandestins, source de « violences, de crimes et d’actes inacceptables » et insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin ». Et de s’en prendre à « l’émigration subsaharienne », un bouc émissaire de l’échec de la gouvernance des affaires du pays…
Certains médias jettent l’huile sur le feu !
La presse tunisienne s’est mêlée de la question de « l’émigration subsaharienne » et en a fait un débat depuis des mois. Les réseaux sociaux ont pris le relais en distillant les mots les plus haineux en désignant les « migrants africains » comme la source de tous les maux.
De toute évidence, il n’existe pas de statistiques formelles chiffrant le nombre de migrants présents sur le sol tunisien. Les chiffres connus évoquent 22000 ressortissants subsahariens sur une population de 12 millions de tunisiens, ce qui représente 0.2 % au total. Parmi eux, des étudiants inscrits dans les universités tunisiennes. Pendant ce temps, selon des chiffres officiels italiens, plus de 32.000 migrants, dont 18.000 Tunisiens, sont arrivés clandestinement en Italie en provenance de Tunisie en 2022.
Certains médias jettent de l’huile sur le feu en annonçant des chiffres difficiles à vérifier. Dans un éditorial d’« Univers News », intitulé Une bombe à retardement…?! daté du 13 février 2023, Mustapha Machat écrit : « Certains vont, surement nous taxer de racistes… certes, et loin de nous toute idée ségrégationniste, parce que la Tunisie a été, de tous temps, une terre d’accueil et de coexistence pacifique, mais le flux de Subsahariens, depuis la « révolution » est, vraiment, inquiétant… surtout que c’est un plan ourdi par des forces occultes qui ont des desseins aussi vicieux que destructeurs ». Et l’auteur de renchérir : « La Tunisie ne comptait pas plus de 120 mille résidents étrangers, en janvier 2011… et, tout d’un coup et depuis cette date, on a observé un afflux inquiétant de nos frères africains dont certains, sans raison valable de quitter leurs pays. Un peu plus de dix ans après, le nombre a gonflé d’une manière inquiétante et on parle, aujourd’hui de plus de 1,2 millions subsahariens et certains avancent, même, sur les réseaux sociaux, que les pays européens font pression sur la Tunisie… pour accueillir près d’un million de subsahariens menacés d’expulsion d’Algérie ».
« Traiter tous les migrants avec dignité »
Dans un communiqué dévoilé ce vendredi 24, le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, « condamne fermement les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes africains, qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de l’organisation et de ses principes fondateurs ».
Il « rappelle à tous les pays, en particulier aux États membres de l’Union africaine, qu’ils doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international […], à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d’où qu’ils viennent, s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes, et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux ».
Des ONG Tunisiennes dénoncent un « discours haineux » contre les migrants africains
Des arrestations au faciès se multiplient dans les grandes villes tunisiennes. Certains, ont été arrêtés dans l’enceinte des tribunaux lors de la comparution de leur proche.
Un grand nombre d’associations humanitaires comme des ONG tunisiennes ont dénoncé « le discours haineux » et « raciste » contre les migrants subsahariens. Ils fustigent l’exploitation politique d’un phénomène lié d’abord au changement climatique, et aux crises économiques.
Dans la même cadence, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), à l’avant-garde dans la défense des droits des migrants subsahariens, s’inquiète de la situation. « Ces derniers jours, plus de 300 migrants ont été arrêtés, placés en garde à vue et déférés devant la justice » confirme les responsables de l’ONG. Ils appellent les responsables à prendre leur responsabilité. Selon eux, « l’Etat tunisien fait la sourde oreille sur la montée du discours haineux et raciste sur les réseaux sociaux et dans certains médias ». Pire, ce discours « est même porté par certains partis politiques, qui mènent des actions de propagande sur le terrain facilitées par les autorités régionales ».
Hamidou TRAORE