
Les effets de la crise climatique prennent de plus en plus une proportion quasi-apocalyptique en Afrique. Ils ont même réussi à pousser la Banque mondiale à sortir de ses activités traditionnelles pour intéresser à cette crise. L’institution mondiale s’est penchée sur le climat et le développement des pays du G5 Sahel. Ainsi dans son rapport publié en juin 2022, elle s’inquiète et tire la sonnette d’alarme sur le foisonnement des chocs climatiques qui causent « d’importantes pertes de production, une baisse de l’accumulation de capital et conduit à des points de basculement écologiques et économiques potentiellement dévastateurs dans la région ».
Les cinq pays concernés par l’étude (Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger), prendront-ils la mesure de la situation décrite et prendre les mesures correctives et anticipatrices adéquates à temps ? Ou se contenteront-ils de la ranger dans les placards pour constater leur économie péricliter sous l’effet de la crise climatique ? L’inquiétude est légitime lorsqu’on se rend à l’évidence que, hormis la Mauritanie, les pays concernés se trouvent empêtrés dans une crise sécuritaire à dominance terroriste. Dans un tel contexte, gouvernés et gouvernants sont beaucoup plus soucieux à recouvrir la paix et la sécurité que de se préoccuper des problèmes climatiques.
Situation climatique critique du G5 Sahel causant des drames socio-économiques
Le rapport de la Banque mondiale met clairement en évidence l’impact dramatiques des changements climatiques sur les économies et les sociétés des cinq pays de cette zone du G5 Sahel. Le Sahel est particulièrement vulnérable à la dégradation des terres et la désertification parce qu’il est confronté à une « sévère augmentation des sécheresses, des inondations, et autres impacts causés par le changement climatique ». Trois des pays du G5 que sont le Niger, le Mali et le Tchad figurent parmi les sept pays les plus vulnérables au changement climatique dans le monde et leur « capacité d’adaptation est fortement limitée par la pauvreté et la fragilité ». « Le changement climatique affecte sévèrement les populations et vient remettre en cause les gains de développement durement acquis. L’analyse indique que le changement climatique renforce les cycles de pauvreté, de fragilité, et de vulnérabilité dans le Sahel, » souligne Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale.
Ce qui semble être un secret de polichinelle révélé par la Banque mondiale, c’est le fait que, à cause du dérèglement climatique, toutes les communautés de la région sont déjà menacées par des sécheresses et des inondations fréquentes et souventes fois plus graves. En effet, le rapport rappelle que depuis l’an 2000, en moyenne, 248 000 personnes par an ont été touchées par des inondations qui ont endommagé des maisons, des routes et d’autres infrastructures et biens, et perturbé les services. Par ailleurs, plus de 20 millions de personnes ont été directement affectées par les sécheresses entre 2016 et 2020 en raison de l’insécurité alimentaire ou de difficultés économiques. Les sécheresses fréquentes favorisent l’exode rural alors que les villes ne peuvent offrir que des opportunités économiques limitées aux migrants provenant des zones rurales. Malheureusement, les projections semblent plus inquiétantes.
Une inquiétante hausse de la température de la région
Selon le GIEC, la plupart des scénarii climatiques montrent que les températures au Sahel augmenteront d’au moins 2º C à court terme (2021-2040). Non seulement la région du Sahel devrait connaître une augmentation des températures 1,5 fois supérieure à la moyenne mondiale, mais elle est aussi particulièrement sensible à la dégradation des sols et à la désertification. En effet, la région a été identifiée comme l’un des points de basculement de la planète si la température moyenne à la surface du globe augmente de 3º C par rapport aux niveaux préindustriels.
En rappel, les points de basculement sont considérés par les scientifiques comme un point de non-retour. Il s’agirait de l’instant précis où l’impact du réchauffement climatique sera telle que ses « conséquences sur la vie sur Terre à l’échelle planétaire seraient irréversibles ».

Des dégâts économiques énormes…
La Banque à travers ce rapport est convaincue que le changement climatique risque fortement d’occasionner « d’importantes pertes économiques aux pays du G5 Sahel ». Des pertes importantes de PIB sont attendues des effets cumulés de six canaux d’impact modélisés (baisse des rendements des cultures pluviales, des rendements du bétail, baisse de la productivité du travail liée aux fortes chaleurs, baisse de la productivité liée à la détérioration de la santé humaine, dommages causés par les inondations et dommages occasionnés aux routes et aux ponts). Les impacts négatifs augmentent avec le temps, et sont plus importants dans les scénarios de faible niveau de précipitation et scénarios climatiques pessimistes.
Ainsi l’institution économique prévoit d’ici 2050, dans le scénario d’un niveau élevé de précipitation et scénarios optimistes une baisse annuelle de 2,2 % du PIB du Niger et de 6,4 % pour le Mali. Et dans le scénario de faible niveau de précipitation et scénario pessimiste, une baisse de 6,8 % du PIB du Burkina Faso et de 11,9 % pour le Niger. L’étude signale que les impacts négatifs sont suffisamment importants pour annihiler une « grande partie ou la totalité de la croissance annuelle du PIB réel et du PIB par habitant ». Ces estimations sont susceptibles de sous-estimer l’impact du changement climatique sur le PIB parce que tous les canaux d’impact ne sont pas inclus, et parce qu’elles ne tiennent pas compte des effets amplificateurs de l’augmentation des conflits, des modifications des écosystèmes et des migrations induits par le changement climatique. À titre de comparaison, rappelons qu’une étude de la Banque mondiale de 2016 a estimé que le PIB des pays du Sahel pourrait enregistrer une baisse allant jusqu’à 11,7 % d’ici 2050 rien qu’en raison d’une pénurie d’eau liée au changement climatique.
Les secteurs économiques qui souffrent ou qui souffriront plus de cette crise climatique concernent les cultures pluviales et le bétail où les rendements baisseront dans le scénario d’un climat sec alors qu’ils augmenteront dans certains pays dans le scénario d’un niveau élevé de précipitation. L’agriculture sera fortement affectée, ce qui va induire une forte insécurité alimentaire. La productivité du travail connaitra une baisse causée par le stress thermique qui sera plus importante dans un scénario pessimiste (plus chaud) et plus importante dans l’agriculture et l’industrie étant donné le plus grand nombre de travailleurs en plein air dans ces secteurs. Les dommages occasionnés aux routes et aux ponts seront plus importants dans un scénario de climat humide.

Développement, adaptation, atténuation, les remèdes !
« Avec une population qui devrait doubler au cours des 20 prochaines années pour atteindre 160 millions de personnes, les pays du Sahel doivent accélérer leur croissance et prioriser l’adaptation climatique s’ils veulent concrétiser le dividende démographique et mettre la région sur la voie d’une croissance durable et inclusive. ». Cet appel du vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et centrale coincide parfaitement avec l’essentiel des recommandations du rapport pour éviter le chaos. Il est ainsi notamment recommandé l’intensification des actions de développement que la Banque excipe comme une urgence pour la région. Et ce processus devra inclure une bonne capacité d’adaptation face au changement climatique. En outre, comme le signale également le rapport, la combinaison des mesures d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique peuvent constituer de puissants outils de développement, œuvrant ensemble pour la réalisation d’objectifs plus larges et l’amélioration de la résilience.
Hamidou TRAORE
tr.hamidou@gmail.com